Littérature

Martine : 5 fun facts sur l'héroïne la plus célèbre de la littérature jeunesse

Malgré les critiques qui pointent régulièrement un univers sexiste et rétrograde, Martine se porte mieux que jamais. 27 dessins originaux étaient mis aux enchères chez Artcurial le 27 avril 2019, et elle sera bientôt adaptée au cinéma. Comment cette héroïne ancrée dans la France des années 1950 a-t-elle pu traverser l’histoire ?
Marcel Marlier Martine petit rat de l'opra
Marcel Marlier, Martine petit rat de l'opéraArtcurial

Martine a une dizaine d’années, les joues roses et le sourire aux lèvres. Elle monte à cheval, fait de la danse, de la musique, découvre la nature et les joies du camping, et s’épanouit dans un monde idéalisé en couleurs pastel, où les notions de danger et de contrariété n’ont pas leur place. Un monde qui, depuis 1954, a séduit plus de 110 millions de personnes dans 35 pays différents. Nées de l’imagination de l’instituteur belge Marcel Marlier, les aventures de Martine, déclinées en 60 volumes sans cesse réédités, continuent de fidéliser un public international. On a pourtant reproché à la série d'être franchement rétrograde et d’enseigner aux jeunes filles des valeurs antiféministes. Mais Martine a les épaules solides. "C’est vrai qu’elle incarne une vision de la petite fille qui ne correspond pas à celle qu’on a voulu véhiculer après mai 68" affirme Mathilde Lévêque, maîtresse de conférence et chercheuse à l’université Paris 13, spécialisée en littérature jeunesse. "Ça nous semble très rétro aujourd’hui mais ça l’était déjà à l’époque. Dans les années 1960, l’Ecole des loisirs proposait déjà des choses moins traditionnelles comme Max et les Maximonstres, mais Martine s’écoulait à des millions d’exemplaires. Aujourd’hui, en dehors de quelques titres dont on parle beaucoup dans les médias parce qu’ils vont à l’encontre de la distinction fille-garçon, ce sont encore ces recettes là qui ont du succès. On le voit clairement au Salon du livre, les recettes commerciales ne sont pas les plus révolutionnaires." Selon elle, les valeurs conservatrices ont encore de beaux jours devant elles.

Marcel Marlier, Martine monte à cheval

Artcurial

L’enfant du baby boom

La recette Martine, un monde édulcoré plein de bonté et d’amour, qui aujourd’hui en devient presque comique, est tombée à point dans la France d’après-guerre. "Ce qui fait son intemporalité, ce sont toutes ces petites choses qui ne servent à rien d’autre qu’à être heureux." explique François Marlier, le fils de Marcel Marlier. Il décrit son père comme un homme passionné, dévoué à son personnage, dont les aventures s’inspirent de ses propres enfants. Pour Mathilde Lévêque, son succès s’explique avant tout par une bonne stratégie éditoriale menée par Casterman, l’éditeur historique de la série. «Le succès repose sur une structure éditoriale très solide avec une politique bien menée. Martine est arrivée avec le Club des cinq, au début des séries, qui fonctionnaient déjà très bien avec Tintin. C’est un personnage récurrent qui évolue un petit peu, mais jamais trop, elle a parfois les cheveux courts, elle se met à porter des pantalons quand la mode évolue, les couvertures changent en fonction des époques, mais ça reste l’histoire d’une petite fille à qui il n’arrive quasiment rien, avec toujours le même format et la même longueur. » Assez pour fidéliser un public adulte qui cherche pour ses enfants des histoires stables, qu’il connait et qui le rassurent. « Et comme c’est une publication à long terme, elle a facilement traversé les générations de mères, de grands-mères et de petites filles. »

Marcel Marlier, Martine en bateau

Artcurial

Idéaliste mais pas réaliste

Cet univers rassurant a fait le succès de Martine jusqu’au Liban ou en Chine, où les livres se sont écoulés à deux millions d’exemplaires l’an dernier selon François Marlier. « L’année dernière, une libanaise fan de Martine est venue nous rendre visite avec ses enfants et son mari. C’était une rencontre très émouvante, elle nous écrit depuis 30 ans. Dans l’une de ses lettres elle racontait que lorsqu’elle était petite et que Beyrouth était sous les bombes, elle gardait avec elle son livre de Martine, qui lui donnait du courage. » Aujourd’hui encore, Martine incarne tout ce qu’il y a de plus positif dans le quotidien d’une petite fille : les jeux, les rencontres, la découverte, l’amour pour la nature et pour les animaux. Idéaliste, mais pas réaliste. « On dit beaucoup que les illustrations de Martine sont très réalistes, mais ce n’est pas le cas du tout. analyse Mathilde Lévêque. Les femmes qui faisaient leurs courses au supermarché dans les années 1950 ne ressemblaient pas à des Barbie ! Les illustrations sont très précises et extrêmement bien construites, les plans sont structurés, il y a beaucoup de détails, une belle lumière qui arrive de nul part, c’est si précis que ça parait réaliste, donc l’univers rassure. »

Marcel Marlier, Martine en avion

Artcurial

L’absence de négation

27 de ses illustrations originales seront mises aux enchères chez Artcurial le 27 avril 2019, estimés entre 4000 et 7000 euros. Parmi elles, Martine à la mer, Martine en avion ou Martine et les 4 saisons. Sur les trois images, la fillette a une figure légèrement différente. François Marlier explique que son père faisait poser tour à tour les petites filles de l’école où il travaillait pour incarner son personnage. N’importe quelle fille blanche d’une classe relativement aisée peut donc se reconnaître dans Martine et fantasmer cet univers ultra détaillé, soutenu par des textes courts, efficaces et bien rythmés, où la négation n’apparaît presque jamais. Dans un article publié en mai 2018, la chercheuse Nelly Chabrol Gagne analyse une page de Martine petite maman, publié en 1968 : « Le texte renforce l’impression de douceur, exprimée dans une phrase qui a des allures d’alexandrin : « Ce matin, tout est calme dans la maison de Martine. » Une branche fleurie caresse presque le visage de Martine ; son ombre délicate confirme la présence du soleil levant. Rien ne perturbera le déroulement de cette « belle journée qui commence » par un réveil et se terminera par un endormissement » Rien, pas même le fait qu’une enfant de 10 ans est laissée seule pendant 12 heures avec un bébé. Même les parents de Martine ont une confiance aveugle.

Marcel Marlier, Martine à la mer

Artcurial

Martine critiquée

Qu’en est-il alors de cette vision sexiste et naïve que l’on a tant critiquée et parodiée (en 2007, un générateur de fausses couvertures de Martine est apparu sur Internet, engendrant des parodies telles que « Martine prend de la coke », « Martine ne comprend rien à Twitter » ou « Martine cache un cadavre ») ? François Marlier s’en défend. « Quand on critique Martine, on se base toujours sur une image très précise et pas sur la sur la suivante. Certes, elle fait la cuisine. Mais son frère fait la vaisselle, à l’époque c’était quand même très moderne. Quand elle fête son anniversaire avec un grand feu d’artifice, ce n’est pas parce qu’elle est riche, c’est juste pour la beauté de l’image. » Mathilde Lévêque confirme. « Ils ont quand même été assez malins pour ne pas lui donner tout le temps cette image de ménagère. En 1958, dans Martine à la foire, on la voit chevaucher un cheval sur un manège, dans une position qui, dans l’histoire de l’art, n’était pas traditionnellement celle de la fille. Sur une autre image, elle est à l’avant d’une moto, avec un garçon derrière elle. Si on regarde les détails, c’est pas si tranché que ça, elle fait quand même autre chose que les activités dites de petites filles. » Si ces arguments paraissent aujourd’hui un peu poussiéreux, ils répondent aussi aux normes de la littérature jeunesse de l’époque. « Quand Martine arrive en 1954, on vient de voter la loi du 16 juillet 1949, une loi de protection de l’enfance et de la jeunesse qui régit la presse et la littérature, et qui interdit l’apologie de toute forme de banditisme, du crime et même de la paresse. Ça a eu de l’impact sur le choix des éditeurs, même indirectement. C’est absolument génial à observer dans le Club des cinq, il y a des enquêtes, du suspense, mais jamais de meurtres ou de sang, les méchants ne sont pas trop méchants, et ça fonctionne. » Pour Mathilde Lévêque, Martine répondrait peut-être à la volonté de Casterman de rentrer dans des cases politiquement correctes.

Marcel Marlier, Martine petit rat de l'opéra

Artcurial

Martine star du cinéma

65 ans après sa naissance, l’héroïne a toujours 10 ans, et arrive au cinéma. Le réalisateur français Philippe Muyl (Le papillon) est à la recherche de la Martine parfaite, qui devrait arriver en salles en fin d’année avec François Berléand et Chantal Lauby. François Marlier est enthousiaste. « Ce sera une Martine moderne, avec des valeurs écologistes. Le scénario est émouvant, très bien conçu, avec plein de messages de beauté, de bonté et d’humanité. » Bientôt star de cinéma, la plus âgée des petites filles a une chance de faire un pas vers notre époque. Mais en a-t-elle vraiment envie ?

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