[Transformation numérique] Prenez place dans la voiture du futur
Les mutations à l’œuvre dans l’automobile rejaillissent sur l’intérieur du véhicule. Celui-ci devient de plus en plus connecté et individualisé.
L'espace est assez grand pour accueillir quatre personnes. Les matériaux adoptés se veulent nobles. Recouverts de feutre, les sièges permettent aux occupants d’interagir, selon les configurations, autour d’une table basse escamotable en marbre. Bois et porcelaine complètent le tableau. Via des écrans tactiles installés au niveau des ceintures de sécurité, il est possible de contrôler la température et la musique. Le système audio est implanté dans l’appuie-tête. Une façon de faire évoluer les passagers dans un univers connecté et semblable à un salon ou une chambre. Mais semblable seulement, puisque cet espace ne dépeint ni l’une, ni l’autre de ces pièces. Il s’agit en réalité de l’habitacle du concept car Symbioz, présenté par Renault au salon de Francfort en septembre dernier.
Électrique, autonome et connecté – notamment à la maison –, ce véhicule apparaît comme une préfiguration de ce à quoi pourraient ressembler un jour les cockpits des voitures. Car « l’habitacle va changer radicalement dans les années à venir », prévient Stéphane Janin, directeur du design des concept cars pour le constructeur français. Principale raison à ce bouleversement ? Le déferlement annoncé du véhicule connecté et autonome, qui « invente le conducteur augmenté, capable de faire d’autres choses en parallèle. La seconde étape sera franchie avec l’arrivée du véhicule autonome, qui remplace le conducteur. Celui-ci fera alors tout, sauf conduire », analyse Guillaume Crunelle, expert automobile chez Deloitte. « Le client pourra un jour regarder des vidéos sur les écrans ou travailler », avance Marc Meurer, le directeur d’Audi France. « L’habitacle va devoir se transformer, puisqu’il n’y aura plus de raison de conserver un environnement exclusivement conçu pour la conduite », tranche Stéphane Janin. Cette mutation ne saurait tarder, estime-t-on chez Faurecia, qui a mis sur pied une petite équipe pour penser l’intérieur du futur. Les premières évolutions pourraient apparaître dès 2020 à 2021, en phase avec l’arrivée des options d’aide à la conduite de niveau 3. Les ruptures plus profondes, telles que présentées par Renault, ne devraient intervenir qu’après 2025, au rythme du déploiement des niveaux 4 et 5 d’autonomie, qui permettent une délégation de conduite à terme totale.
L’habitacle, prolongement du domicile
Il faut aussi compter sur deux autres révolutions qui devraient galvaniser cette transformation. « Le véhicule électrique permet de disposer d’une nouvelle architecture, avec un plancher plat, et donc de libérer de l’espace dans l’habitacle pour inventer de nouveaux cas d’usage », détaille David Degrange, le vice-président du projet cockpit du futur de Faurecia. D’ici à 2030, la part de marché des véhicules électrifiés – 100 % électriques ou hybrides – atteindra 50 %, selon le Boston Consulting Group. Une solide base pour réinventer l’intérieur. Sans oublier que les nouveaux usages invitent à repenser la place des passagers, notamment à l’arrière. « Les fournisseurs de plate-forme de mobilité voudront offrir à leurs clients un système d’infodivertissement individualisé, leur permettre de connecter leur téléphone et d’évoluer dans un univers personnalisé le temps du trajet », estime David Degrange.
Ces phénomènes poussent à l’émergence d’un intérieur vécu comme « un prolongement du domicile ou du bureau », connecté, intelligent et individualisé, tel que le décrivent les spécialistes du secteur. De quoi faire gagner de la valeur à l’intérieur, qui en totalise déjà près d’un tiers à l’échelle du véhicule. Pour répondre à ces besoins, chacun y va de sa proposition de valeur. Avec une forte implication des équipementiers. Chez Valeo, on réfléchit à des solutions au croisement des activités Visibilité et Systèmes thermiques. Le tout couplé aux apports de l’intelligence artificielle. « Le système sera par exemple capable de détecter que la personne sort d’une séance de sport, via les capteurs dans l’habitacle, et d’ajuster la température selon ses besoins. Associé à des tonalités bleutées, l’effet de fraîcheur pourra être ressenti plus rapidement », décrit Guillaume Devauchelle, directeur de l’innovation chez l’équipementier. Valeo pense aussi à l’avenir des écrans dans le véhicule. Le développement de surfaces intelligentes pourrait permettre de projeter des informations sur le pare-brise lors des phases autonomes. Les possibilités semblent infinies. Dans son concept car i Inside Future, BMW rend carrément l’espace intelligent, avec une interface holographique.
Au salon de Francfort, Faurecia a dévoilé le contenu de ses premières solutions pour le cockpit du futur. Pour la filiale de PSA, le positionnement sur cette révolution est crucial. Le groupe est numéro un mondial dans l’intérieur véhicule. En 2016, l’activité a représenté 26 % de son chiffre d’affaires (4,8 milliards d’euros), tandis que son métier « Siège » totalisait 6,6 milliards d’euros (35 %). Parmi les innovations, Faurecia croit aux bénéfices de ses « bulles acoustiques ». Le système permet de compartimenter le son. Un passager peut passer un appel sans obliger son voisin à couper la musique. En déposant son téléphone sur l’accoudoir, le conducteur peut par ailleurs retrouver ses paramètres préférés sans avoir à les sélectionner manuellement. Un gain de temps et de confort pour les usagers de voitures partagées.
Des ethnologues aux côtés des ingénieurs
À côté de ces ajouts technologiques, « l’habitacle requiert de nouveaux systèmes de sécurité pour continuer à garantir la sécurité des passagers », relève Klaus Bischoff, le directeur du design de la marque Volkswagen. Associé à son homologue allemand ZF, Faurecia a développé un siège sur lequel la ceinture et les airbags sont directement implantés. Un partenariat qui est loin d’être ponctuel. « Le rythme de l’innovation s’accélère dans l’automobile. Il est nécessaire de travailler désormais en écosystème », explique David Degrange. La démarche prend de multiples visages. Sur la partie connectivité, Faurecia a racheté la filiale Parrot Automotive. Même décision chez Valeo, avec l’acquisition en mars de la start-up Gestigon, spécialiste du traitement d’images en 3D de l’habitacle. Avec cette technologie, le groupe pourra analyser finement les réactions du conducteur-passager et adapter l’environnement en fonction de ses besoins. De nouvelles preuves de la progression des acteurs du numérique dans l’auto. La complexification du cockpit oblige à recruter de nouveaux profils. Dans sa structure Carlab lancée en 2016, Valeo a décidé de faire interagir ses ingénieurs avec des spécialistes venus d’autres univers. Notamment des ethnologues, grâce auxquels la société tente de mieux comprendre les besoins des utilisateurs afin de proposer des solutions adaptées. Encore une révolution.
« L’intérieur sera le centre névralgique du véhicule »
Guillaume Crunelle, associé chez Deloitte responsable de l’industrie automobile
- Comment expliquer le fort investissement des acteurs de l’automobile dans le cockpit ?
L’intérieur va devenir le centre névralgique de la voiture du futur. Demain, ce ne sont pas tant les performances du véhicule en termes de motorisation que l’intérieur et l’expérience qu’il offrira, qui marqueront la différence entre les véhicules d’une marque et ceux d’une autre. Cela s’explique par le fait que les propriétaires entretiendront de moins en moins de relation physique avec leur véhicule puisqu’ils ne le conduiront que peu, voire plus du tout. L’habitacle du futur va devenir un facteur de différenciation fort, d’où les transformations visibles à l’heure actuelle. Les intérieurs au sens large resteront pendant plusieurs années des lieux d’innovation susceptibles de capter une partie grandissante de la valeur du véhicule.
- À quoi pourrait ressembler l’intérieur de demain ?
À court terme, dans les trois ou quatre années à venir, des fonctionnalités vont permettre au conducteur augmenté de faire autre chose en même temps. Cela peut passer par des systèmes de reconnaissance vocale ou faciale avancés. Quand le conducteur sera remplacé, c’est l’agencement prévu dans le véhicule qui devra évoluer. Avec les niveaux d’autonomie 4 puis 5, le centre du véhicule ne sera plus le conducteur, mais probablement les interactions entre les passagers. Il faudra repenser l’intérieur pour intégrer cette nouvelle donne. Cela suppose une gestion de l’espace différente et introduira une grande complexité pour conserver les mêmes niveaux de confort et de sécurité avec deux personnes faisant parfois dos à la route.
- Quelle place aura la collaboration dans cette transformation ?
C’est un axiome global de la mobilité de demain et des véhicules connectés et autonomes. Il y a une nécessité à collaborer afin de mettre fin aux silos existants entre acteurs de l’automobile et spécialistes en provenance d’autres secteurs, parce que les frontières entre les différentes activités deviennent de plus en plus floues. On le voit sur le plan du digital et du multimédia, mais on peut imaginer que les collaborations s’étendent demain à des spécialistes de l’intérieur, par exemple, pour imaginer de nouveaux espaces de vie dans l’habitacle.
Adopter une structure agile
Face à la transformation rapide de l’objet automobile, en l’occurrence de l’intérieur des véhicules, Faurecia a opté pour la création d’une structure agile. « Notre équipe est composée de 20 personnes, souligne David Degrange, le vice-président du projet cockpit du futur. Nous bénéficions de l’expertise des spécialistes seniors de Faurecia et de nos 6 000 ingénieurs, ainsi que de celle de partenaires extérieurs. » Autant de « ressources additionnelles » qui peuvent être sollicitées en fonction des besoins. De quoi accroître sa réactivité. Avec ZF, Faurecia a été capable de mettre au point des technologies de sièges, présentées au salon de Francfort en septembre, cinq mois à peine après l’annonce de leur partenariat.