Quelle image de la féminité Martine transmet-elle à son lectorat ?
Les albums de Martine s’inscrivent clairement dans une image de la petite fille qui ne sort pas des clous, qui est bien élevée, parfaite en termes de morale. Elle correspond ainsi pleinement à ce qu’une partie de la population attend encore de la femme et donc de la petite fille: quelqu’un de bien élevé, qui reste bien à sa place. Petit à petit, elle arrive cependant à prendre de plus en plus d’autonomie et, subtilement, à montrer une féminité qui entre plus en résonance avec l’image de la femme, au fil des époques.
Martine à l’école, paru en 1957, montre une école mixte, où l’on ne porte pas l’uniforme, où les enfants partagent les mêmes activités. Après l’école, Martine explique à son petit frère, à son petit voisin, à son chien et son chat, ce qu’elle y a appris. Le lendemain, on voit son frère et le petit voisin l’accompagner à l’école.
"Il y a une forme de prosélytisme qui est confiée à Martine, pour encourager les autres enfants à la joindre sur le chemin de l’école, mais en même temps, c’est elle qui prend l’initiative de cet apprentissage." On peut parler d’un embryon d’émancipation.
Les personnages féminins autour de Martine, qui peuvent lui servir de modèles, ne sont pas des femmes modernes. Elles correspondent à une répartition plutôt classique, conservatrice, des rôles homme-femme. La mère de Martine reste à la maison, elle s’occupe de la maison et de la famille. Elle est plutôt bourgeoise, élégante, avec une vie sociale. Le père de Martine travaille à l’extérieur, il est aussi très élégant.
Si certains personnages ont des professions, on remarque là aussi une répartition classique, conservatrice, genrée. Le professeur de danse est forcément une femme, le professeur de natation un homme bien musclé. Le médecin est forcément un homme, la couturière une femme.
Martine aime se faire belle, c’est certain, elle est coquette. Jusqu’à la moitié des années 70, elle porte essentiellement des jupes et des robes, avec un soin particulier apporté aux noeuds assortis, aux petites chaussettes et chaussures, aux petites culottes qui ont fait beaucoup jaser. Marlier disait : "Toutes les petites filles étaient habillées comme ça, avaient les jupes courtes, et moi je n’ai fait que reproduire la mode du moment. N’allez pas y chercher autre chose."
Mais à partir des années 70, au fil des albums, on observe une évolution palpable dans son habillement. Martine va délaisser la robe pour le pantalon, ce qui lui permet d’être plus libre de ses mouvements. Elle suit ainsi la mode de l’époque.
Dans les premiers albums, Martine s’inscrit clairement comme une petite fille issue de la classe bourgeoise aisée. On le remarque dans ses vêtements mais aussi dans ses loisirs : elle fait de l’équitation, elle skie. Progressivement, de manière très subtile, presque naturelle, d’album en album, elle devient une petite fille d’une classe moins bourgeoise, ses loisirs changent. Elle apprend à nager ou à danser avec un groupe, plutôt qu'avec un professeur particulier. Elle fait de la voile dans un centre semblable à ceux de l’Adeps.
La modernité triomphante
Les albums soulignent le triomphe de la société de consommation. Laurence Boudart parle même d’une forme de propagande pour les appareils électroménagers dernier cri, en particulier dans Martine à la maison, en 1963, où Martine et son frère prennent en charge le ménage, pour aider maman partie pour la journée.
"C’était très amusant de pouvoir comparer les publicités de l’époque et de repérer les modèles. Certains modèles dessinés par Marlier correspondent exactement aux modèles les plus en vogue et les plus technologiquement avancés de l’époque. On se demande s’il n’y a pas eu une volonté de publicité, de contrat publicitaire, je ne crois quand même pas. Mais ce qui est certain c’est qu’il y a, en tout cas dans les albums jusqu’aux années 70, une croyance de la part de Marlier, et de Delahaye et Casterman probablement, qu’il fallait rendre hommage à cette modernité triomphante de la technologie. "
Cela se voit aussi dans l’album où Martine prend l’avion. L’avion est le dernier modèle, c’est la Caravelle d’Air France. Il y a véritablement cette volonté de croire que le progrès technologique est au service de l’homme et de la femme, et qu’il faut souligner cette modernité triomphante.
Les voyages de Martine sont très cadrés, ils sont à la fois très libres, car elle voyage souvent sans ses parents, mais aussi très contrôlés, la prise de risque est minimale.