Louis Soutter
Une Crucifiction, entre 1937 et 1942

  • Louis Soutter (Morges, 1871 - Ballaigues, 1942)
  • Une Crucifiction, entre 1937 et 1942
  • Peinture au doigt sur papier, 68,4 x 51 cm
  • Acquisition, 1961
  • Inv. 512
  • © Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

Après 1936, Soutter, qui souffre d’une arthrose des mains et d’une baisse de la vue, explore des voies nouvelles. Travaillant au sol, parfois dévêtu, il engage le mouvement de tout son corps dans la réalisation de grandes peintures, appliquant la couleur directement avec ses doigts. Outre l’encre de Chine, il utilise l’encre d’imprimerie, le cirage, l’huile, la laque – parfois même du dentifrice. Son œuvre – qui avait témoigné jusqu’alors d’une forme d’horror vacui – travaille désormais avec le vide ménagé entre les formes. Commentant le blanc du papier entre ses figures noires, il déclare à cette époque au peintre Henri Noverraz : « Voyez les ombres et les lumières sur ce papier : je ne fais que les interpréter pour réaliser mon dessin. » Si son cousin Le Corbusier accueille ce tournant avec scepticisme, les peintures dites au doigt de la dernière période de Soutter sont celles qui fascineront la postérité et les artistes, d’Arnulf Rainer à Christian Boltanski.

 

Les peintures au doigt déroulent des sarabandes de personnages parcourant l’espace parallèlement au plan, toujours en mouvement, occupés à quantité d’activités. Une Crucifiction appartient à une série plus statique, habitée d’une force vibrante, où dominent les images christiques, en premier lieu celles de la Passion. Élevé dans une famille protestante, Soutter est confronté quotidiennement à l’asile à cette forme rigoriste du calvinisme qu’est le darbysme, bien implanté à Ballaigues et qui se traduit par un ressassement de la Bible, des incitations à l’humilité et des mesures vexatoires. Sur cette feuille, il représente le Christ en croix entouré de deux figures agenouillées qui, nimbées elles aussi, pourraient être identifiées à Marie et à Jean. Un astre noir rappelle que le ciel s’est obscurci ce jour-là sur Jérusalem, et les croix balisant l’espace que Jésus est l’alpha et l’oméga dans la tradition chrétienne. Nul doute que Soutter s’est identifié à Celui qui, à ses yeux, incarnait l’innocence martyrisée.

Bibliographie

Julie Borgeaud (dir.), Louis Soutter. Le tremblement de la modernité, cat. exp. Paris, La Maison Rouge, Fondation Antoine de Galbert, Lyon, Fage, 2012, p. 163.

Hartwig Fischer (dir.), Louis Soutter (1871-1942), cat. exp. Bâle, Kunstmuseum Basel, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, Collection de l’art brut, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz Verlag, 2002.

Michel Thévoz, Louis Soutter. Catalogue de l’œuvre, Lausanne, L’Âge d’Homme, Zurich, Institut suisse pour l’étude de l’art, 1976, n° 2502v.