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portrait

Marie-Célie Guillaume : l’amazone fout sa zone

Avec aplomb et virulence, l’ex-directrice de cabinet de Devedjian règle ses comptes avec le Sarkoland des Hauts-de-Seine.
par Pascale Nivelle
publié le 22 juillet 2012 à 19h06

Isabelle Balkany, refermant le Monarque, son fils, son fief : «C'est le Journal d'une femme de chambre, sans le talent de Félicien Marceau.» Octave Mirbeau n'aurait pas apprécié. Marie-Célie Guillaume, elle, en rigole. N'est-ce pas aux époux Balkany qu'elle doit son best-seller ? «Après quatre ans de bagarres, au conseil général des Hauts-de-Seine, dans un bordel innommable, une violence inouïe, je devenais parano», raconte l'ancienne directrice de cabinet de Patrick Devedjian. «L'été dernier, je me suis mise à écrire, en commençant par les Balkany, que j'ai appelés les Thénardier. Je me suis éclatée !» Regard bleu dur, chevelure dans les roux, la mâchoire bien carrée et les dents blanches, elle a un faux air de Sarah Palin, la dame de l'Alaska. Et le même aplomb : «Je suis une tombe. Mais quand je l'ouvre, on m'entend.»

Le monarque Nicolas Sarkozy, le dauphin Jean, le conseiller aux cultes Patrick Buisson et de nombreuses figures de la cour des Hauts-de-Seine ont vite rejoint la galerie des portraits au vitriol de Marie-Célie Guillaume, épinglés dans sa «fable» cocasse et impitoyable sur les mœurs politiques. Sexe, bassesses, intrigues, la dir cab, avantageusement campée en «baronne» intrépide, raconte tout, à la manière de Saint-Simon ou Patrick Rambaud, en plus trash. Ce qu'elle a vu de son perchoir doré, les coups qu'elle a pris, ceux qu'a encaissés l'Arménien, le Président : «C'était dur pour elle, Nicolas Sarkozy m'a demandé sa peau lors de l'affaire de l'Epad, confirme Devedjian. J'ai refusé. Elle n'avait fait que me défendre.» Ecrivant son pamphlet, digne d'un épisode des Borgia, la série préférée du président Sarkozy, Marie-Célie Guillaume en a soumis des passages à son patron. Il a apprécié : «Bien écrit, bon tableau de ce qui est, même si la réalité est toujours plus complexe. C'est un livre de femme, qui décrit un climat fait par des hommes au cerveau reptilien empreint d'une grande brutalité naturelle…» Devedjian a mis en garde sa protégée contre les prévisibles représailles, mais n'a pas arrêté, ni guidé, précise-t-il, sa plume : «Elle devait le faire, c'est sa manière de se mettre en rupture avec le conseil général et ce qu'elle y a vécu.»

Depuis le 14 juin, jour de sortie du brûlot, le conseil général s'étripe. La gauche salue l'exploit : «Beau courage, salue le communiste Patrick Alexanian. Ça ne m'étonne pas de Marie-Célie Guillaume : en Arménie, je l'ai vue porter un toast aux femmes devant un parterre d'officiels tous masculins !» Arnaud de Courson, tombeur divers droite d'Isabelle Balkany aux cantonales, apprécie qu'«une belle femme, intelligente, sensible» ait écrit ce que beaucoup pensaient tout bas : «Tout ce qu'elle raconte est vrai, je le vis.» Dans «le clan», les élus de droite hurlent à la trahison : «Cracher dans la soupe comme ça, quel manque de dignité, quelle vulgarité», s'indigne Eric Berdoati, jeune maire de Saint-Cloud. Le licenciement de Marie-Célie Guillaume, accordé sans résistance par Devedjian fin juin, n'a rien apaisé. Isabelle Balkany, battue aux cantonales et «bien contente de ne plus être dans ce marigot», s'étrangle du succès du livre : «Cette fille n'est rien, zéro compétence ! Tout ce qu'elle a fait, c'est rester scotchée à Devedjian matin, midi et soir. Elle était néfaste, c'est elle qui a organisé la prise de mayonnaise dans l'affaire de l'Epad ! Et elle était cassante, arrogante, désagréable… Si la politique est si dure, elle n'avait qu'à partir !» Dans les Hauts-de-Seine, certains avaient trouvé un surnom, «la Pompadour», à cette descendante de Joachim Murat, roi de Naples et maréchal d'Empire, et d'une certaine Marie-Célie Rossignol des Dunes, noble créole. Patrick Devedjian, lui, disait «mon amazone», parce qu'elle régnait sur un cabinet de femmes.

Tout cela, y compris les rumeurs d'une liaison avec Devedjian qu'elle balaie d'un «ça fait dix ans que j'entends ça», amuserait beaucoup Marie-Célie Guillaume si elle ne craignait un reproche, même muet, de son père. Diplomate retraité, le baron Guillaume, de noble lignée belge, était sévère avec sa seule fille, quand celle-ci, baronne perchée dans les arbres, regardait le monde d'en haut, à Buenos Aires ou au parc Monceau. Elle redoute moins la colère de Sarkozy, furieux depuis la parution du livre : «Certes, je raconte une scène où il demande "une petite gâterie" à une élue. Mais ce n'est pas cette allusion au sexe qui l'énerve. Je révèle surtout jusqu'où il est allé pour défendre son fils à L'Epad.»

Elle aurait pu signer d'un pseudonyme, ne l'a pas fait : «C'est peut-être un peu dingo, mais je suis comme ça.» Mère de trois garçons de 16, 14 et 5 ans, mariée avec un directeur des ressources humaines «très ami avec Devedjian», c'est une bavarde pleine d'humour. Qui confie aussi bien son truc pour perdre trois kilos avant l'été, «passer au Grand Journal de Denisot», que ses idées pour équilibrer le budget de la France : «Si j'étais François Hollande, je construirais une cité administrative en Seine-Saint-Denis et vendrais tous les hôtels particuliers du quartier.» Elle a fait son QG d'un café en vue aux Invalides, où elle suit la courbe des ventes de son livre (60 000 exemplaires en un mois) et épluche les annonces immobilières. Quitter le conseil général, signifie en effet renoncer à une belle maison de fonction à Boulogne-Billancourt, à une voiture avec chauffeur, 8 000 euros mensuels et de confortables notes de frais. «Elle n'a fait qu'enfiler les chaussures de Guéant», la défend Devedjian. Ils ont travaillé dix ans ensemble, de ministère en conseil général. Cette éminence tout sauf grise sur ses hauts talons, et «cet être compliqué, torturé, obsédé par la mort», selon elle, s'étaient croisés chez Balladur. L'attachée de presse, introduite par Nicolas Bazire, détonnait dans le paysage : «Un jour, j'ai dit "bon anniversaire" à Balladur, gentiment, et tout le monde est tombé à la renverse ! Ça ne se faisait pas !» Un an après, le courant ne passant pas, elle montait une boîte de communication, se fâchait avec son associé, puis revenait aux affaires politiques avec Devedjian en pleine ascension aux côtés de Sarkozy.

Sa récente sortie pourrait griller ses perspectives en politique, elle qui a pensé un temps se présenter aux législatives : «Je m'en fous, je n'ai pas envie de leur ressembler», rétorque-t-elle. «Elle rebondira ailleurs, juge un ancien collègue de cabinet, sur le marché depuis les élections, de toute façon, il n'y a plus de boulot pour nous d'ici un moment.» Dominique Ambiel, l'ex-conseiller de Raffarin qui fut en première ligne d'un scandale, ami de Marie-Célie Guillaume : «La vie ne se résume pas à la politique, Dieu merci, dans six mois, tout ça sera oublié.» Nièce d'Albin Chalandon, amie d'enfance d'Emmanuelle Mignon et d'autres anciens du lycée Sainte-Marie de Neuilly, «Baronne» n'est pas pressée qu'on l'oublie ni de trouver son prochain job. Elle attendra la rentrée pour tourner les pages de son carnet d'adresses.

Marie-Célie Guillaume en 6 dates

16 mars 1969 Naissance à Londres.
1990
Diplômée de Sciences-Po Paris.
1997 Chargée de la communication d'Edouard Balladur.
2002
Conseillère auprès de Patrick Devedjian, ministre.
2007
Directrice de cabinet du président du conseil général des Hauts-de-Seine
14 juin 2012 Publie le Monarque, son fils, son fief, éditions du Moment.

Photo Rüdy Waks

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