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Le bicentenaire d’un épisode neuchâtelois équivoque

Le 12 septembre 1814, la Diète faisait de Neuchâtel le 21e canton suisse, en même temps que Genève et le Valais. Pourtant, Neuchâtel ne se départissait pas de son allégeance au roi de Prusse

Le grand sceau de la Confédération suisse avec le costume des huissiers des 22 cantons, aquatinte et gouache de Johann Rudolf Dickenmann (1793-1884), 1815. — © 1793-1884
Le grand sceau de la Confédération suisse avec le costume des huissiers des 22 cantons, aquatinte et gouache de Johann Rudolf Dickenmann (1793-1884), 1815. — © 1793-1884

Le bicentenaire d’un épisode équivoque

Festivités Le 12 septembre 1814, la Diète faisait de Neuchâtel le 21e canton suisse

Pourtant, il ne se départissait pas de son allégeance au roi de Prusse

Une vingtaine d’animations culturelles, historiques, scolaires, gastronomiques ou pyrotechniques marquent, du 10 au 14 septembre au Val-de-Ruz et au Val-de-Travers, le bicentenaire de l’entrée de Neuchâtel dans la Confédération. La Diète avait admis en parallèle Genève et le Valais. Les festivités genevoises sont réparties sur 2014 et 2015, le Valais commémorera en 2015.

Neuchâtel a choisi de célébrer le 12 septembre 1814, lorsque les dix-neuf cantons de la Médiation décidèrent d’intégrer trois nouveaux membres, même si l’affiliation ne deviendra effective qu’en 1815. C’est une date méconnue et ambiguë. «On connaît mal cette période», admet le président du Conseil d’Etat, Alain Ribaux. La première moitié du XIXe siècle a été troublée en pays neuchâtelois, avec le passage du régime prussien à celui de Napoléon en 1806, puis le retour du roi de Prusse en 1814 doublé d’une adhésion à la Confédération. 1814, «premier acte de l’instauration de la démocratie dans notre canton», affirmait le gouvernement au début de 2013, lorsqu’il a lancé le projet de bicentenaire.

La légèreté avec laquelle les autorités ont mis en route les festivités a fait bondir le groupe politique SolidaritéS et l’ancien bibliothécaire Jean-Pierre Renk, qui ont renoncé à participer à la réception politique officielle, affirmant que 1814 n’avait rien d’une avancée démocratique: «C’est un retour à l’ordre ancien, constaté d’ailleurs partout en Europe, qui a sèchement réprimé l’insurrection républicaine de 1831, condamnant à mort les docteurs Petitpierre et Roessinger, peine commuée en perpétuité. Mais Alphonse Petitpierre est entré en bonne santé à la tour des Prisons à Neuchâtel, il y est mort de tuberculose. Je me demande si le Conseil d’Etat a lu les livres d’histoire.» Pour SolidaritéS, «notre 12 septembre est celui des républicains qui ont pris les armes en 1831 et l’ont payé de leur vie.» Et de dénoncer une «vision historique positiviste». Alain Ribaux ne se laisse pas démonter. «Nous célébrons un événement vieux de 200 ans, un pan de notre histoire. Si l’insurrection de 1831 n’a pas fonctionné, c’est que le fruit n’était pas mûr. 1814, puis 1831, sont les petits frères de la révolution démocratique de 1848.»

Le professeur honoraire de l’Université de Neuchâtel Philippe Henry réfute le fait que le retour du régime prussien de 1814 «puisse être considéré comme un retour à la tyrannie. Le régime napoléonien de Berthier, de 1806 à 1813, n’avait pas modifié les institutions.» N’y avait-il pas eu d’effet de la Révolution française? «Il y a eu des ouvertures, notamment dans les Montagnes. C’était avant Berthier, et elles n’avaient pas eu d’impact sur les institutions.»

A l’inverse, le fait que Neuchâtel soit devenu suisse a imposé au roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, dont la trahison de 1806 était restée en travers de la gorge de certains Neuchâtelois, d’octroyer une «charte constitutionnelle» qui établit un embryon de démocratie. «L’aristocratie, reprend Philippe Henry, garde ses prérogatives, mais la charte voit naître les audiences générales, une assemblée législative paradémocratique, où la majorité des députés est désignée par le pouvoir central. Après 1831, l’assemblée sera plus ouverte, même si on est loin d’un Grand Conseil.»

Autre ambiguïté qui interpelle: de 1814 à 1848, Neuchâtel était à la fois une principauté ayant fait allégeance au roi de Prusse et un canton suisse. Une dualité qui a généré des tensions. Le professeur Philippe Henry évoque une «schizophrénie neuchâteloise», «un malaise et un double statut qui portent en eux les germes des insurrections de 1831 et de la révolution républicaine de 1848.» Pourtant, Neuchâtel était coutumier d’une affiliation double: soumis au roi de Prusse depuis 1707, il avait signé des traités de combourgeoisie avec les cantons suisses de Berne, Fribourg, Soleure et Lucerne.

Dans l’esprit des Neuchâtelois, la date cantonale qui compte, c’est 1848. Au point de méconnaître 1814 et les deux personnages qui ont négocié avec succès l’entrée dans la Confédération, le gouverneur Jean-Pierre de Chambrier d’Oleyres et le procureur Georges de Rougemont. Leur aura est bien moindre que celle d’Alphonse Bourquin, le républicain qui a échoué en 1831, et, surtout, de Fritz Courvoisier, qui a conduit avec succès la colonne révolutionnaire de 1848. «Pour les radicaux qui l’ont emporté en 1848, 1814 était une date impure, avec cette double allégeance, confie encore Philippe Henry. Seul compte 1848, avec le triomphe du radicalisme et la mise en place d’un régime démocratique. Difficile, pour les radicaux d’alors et leurs descendants, de reconnaître les mérites d’un Chambrier, aristocrate considéré comme réactionnaire.»

Alain Ribaux élude les lectures contradictoires des événements de 1814. «Ce qui compte, c’est de célébrer notre canton. Cela tombe à pic avec notre programme de législature qui prône «un canton, un espace.» La fête a ceci de particulier qu’elle annihile de fait l’opposition entre le Haut et le Bas du canton, puisqu’elle se déroulera dans les vallées latérales, au Val-de-Travers et au Val-de-Ruz. «Il s’est trouvé que les projets ont émané prioritairement des vallées, souligne Alain Ribaux. Elles apparaissent ainsi comme le trait d’union d’un canton. C’est parfait.»

Avec de modestes moyens (1,8 million), Neuchâtel rappellera aussi à la Suisse qu’il existe. «Nous le ferons lors d’une manifestation commune sur la place Fédérale avec Genève et le Valais, le 10 septembre. Nous dirons ce qu’avec notre place industrielle nous apportons à la Suisse», affirme le président du gouvernement.

«Ce qui compte,c’est de célébrernotre canton»