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Le cor des Alpes, mégaphone des montagnes

Avant de rejoindre les plaines, cet instrument de musique folklorique typiquement suisse était connu, et conçu, pour jouer avec les échos naturels des sommets. Retour sur le lien étroit entre le cor des Alpes et la résonance

Norbert Clément, joueur de cor des Alpes à l’œuvre. — © Pierre-Yves Massot/Realeyes.ch
Norbert Clément, joueur de cor des Alpes à l’œuvre. — © Pierre-Yves Massot/Realeyes.ch

Face à la falaise, Norbert Clément souffle dans le cylindre couleur miel. Quelques notes, pas plus. Puis il tend l’oreille. Des bribes de mélodie lui reviennent alors en écho, comme un soupir échoué sur les rochers. Sur la place de la chapelle des Marches, au pied de la Dent-de-Broc, il joue du cor des Alpes. En duo avec la montagne.

Voilà quinze ans que le Fribourgeois, ingénieur civil de formation, a découvert cet instrument folklorique un peu encombrant, prêté par un jour par un chalet voisin et qui ne l’a plus quitté depuis. Passionné, Norbert Clément a participé à divers concours et même fondé un ensemble de joueurs romands. «En écoutant du cor des Alpes, on ressent une sorte de symbiose, comme une vibration à l’intérieur du corps, c’est difficile à expliquer.»

© Pierre-Yves Massot/Realeyes.ch
© Pierre-Yves Massot/Realeyes.ch

Et ce chant si particulier, Norbert Clément le préfère en nature. Lorsqu’il part en balade, ce grand marcheur a l’habitude de prendre son instrument avec lui, la version en carbone tout du moins, à la recherche du relief qui fera le mieux résonner son instrument. Et laissera le vent emporter ses airs. «Lorsque je joue seul contre la montagne, il m’arrive parfois d’entendre des applaudissements. Je ne sais pas d’où ils viennent, je ne vois personne et ils ne me voient pas.»

L’écho devient alors un vrai compagnon de partition. «C’est fabuleux d’avoir un retour. Ça veut dire qu’on n’est pas seul, comme si l’au-delà nous répondait.»

La balise du vacher

Au-delà de l’expérience qu’elle procure au musicien, la capacité de résonance du cor des Alpes est étroitement liée à sa fonction historique. Apparu autour du XIVe siècle, on attribue souvent à l’instrument le rôle de «téléphone entre les vallées», qui aurait pu être utilisé à l’époque pour envoyer des signaux au loin, prévenant un autre village alpestre d’un danger ou appelant les habitants à se réunir, à se rendre à l’église ou à la guerre.

Dans son livre Le Cor des Alpes (Ed. Favre, 2011), Pierre Grandjean s’est également penché sur la question, et pour lui l’objet était avant tout associé au bétail. Ce qui l’a mis sur la piste: un vitrail datant de 1620, que l’on trouve au Musée national suisse, à Prangins (VD). «Il représente un mari, son épouse et tous leurs biens: le chalet, le chaudron à fromage… et le cor des Alpes, pointé en direction des vaches», détaille cet ancien journaliste.

«Dans ces communautés, on partait en montagne avec son troupeau en emportant un cor des Alpes, beaucoup plus petit qu’aujourd’hui. Lorsqu’on en jouait, c’était pour prévenir que tout allait bien. Comme une balise, en quelque sorte», avance Pierre Grandjean.

De l’embouchure au pavillon

Cette puissance de résonance, Gérald Pot la connaît bien: il la façonne depuis 46 ans. Dans son atelier de Choëx, au-dessus de Monthey, ce Valaisan fabrique des cors à la main, fournissant aussi bien les souffleurs helvétiques (dont Norbert Clément) que canadiens ou argentins. «Le cor des Alpes fonctionne un peu comme une corne de brume viking. Il n’y a pas d’instrument plus porteur de son. Je l’appelle même le mégaphone de nos ancêtres!»

Depuis le temps, Gérald Pot est devenu incollable sur ce géant de bois à l’acoustique unique. Qu’il doit avant tout à la forme conique de son tuyau interne, s’élargissant de manière croissante de l’embouchure jusqu’au pavillon, extrémité évasée qui amplifie encore la diffusion des vibrations. «Et puis, contrairement à la trompette par exemple, le cor produit des notes graves et profondes qui se transportent plus facilement dans l’air.»

Lune descendante

Avec son jeune associé, Lionel Perrin, Gérald Pot tente d’améliorer encore et toujours la qualité du son du cor des Alpes en soignant les différentes étapes de production. A commencer par le choix de la matière première, du bois d’épicéa, espèce connue pour ses propriétés de résonance.

Les arbres, tous originaires de la forêt du Risoux, dans le Jura, sont soigneusement sélectionnés selon leur orientation géographique ou encore le dessin de leurs nervures. La coupe a lieu à un moment très précis, «en période de lune descendante, lorsque l’astre passe devant la constellation du Lion. On dit que le bois est alors plus dense et donc la propagation du son meilleure.»

Gérald Pot passera ensuite plus de 80 heures à façonner le corps de l’instrument, avec le moins d’assemblages possible, la colle ayant le défaut d’absorber le son. A l’arrivée, des petites merveilles acoustiques que le septuagénaire aime aller faire sonner au lac de Tanay. «Je joue au bord de la falaise, et j’ai l’impression que je pourrais remonter deux semaines plus tard, la note tournerait toujours, là-haut!»

Mais le cor des Alpes ne peut pas toujours se jouer sur les hauteurs, question de logistique. Alors certains compositeurs s’amusent à reproduire le jeu de l’écho à travers des mélodies pour duo ou trio, les joueurs se répondant par répétitions mélodiques. Un respect de la tradition qui passe aussi par le tempo, selon Pierre Grandjean: «C’est un instrument qui doit se jouer lentement. Les silences sont importants, car ils permettent à la musique de résonner et de respirer.» Le bon air des montagnes, assurément.

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