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Claude Lévi-Strauss, intime

Jeune professeur, jeune soldat, jeune exilé, il écrit à ses parents et s'efforce de les rassurer

Fils unique, Claude Lévi-Strauss est le pivot autour duquel tourne la vie de ses parents. D’autant plus que celle-ci est par ailleurs difficile. Le père est peintre: la généralisation de la photographie au début du XXe siècle a fait baisser drastiquement les commandes de portraits dont vivait la famille. Et l’oncle généreux qui palliait ce manque à gagner a fait faillite lors de la crise de 1929. Ce souci d’argent se lit à travers les lettres du fils à ses parents, qu’il écrive du service militaire, à Strasbourg, du Mont-de-Marsan où il exerce son métier de professeur, du chemin de l’exil – Martinique, Porto Rico – ou de New-York.

Santé chancelante

On sent constamment chez le fils le désir de rassurer père et mère sur sa situation financière, son inquiétude face à la leur. Il subviendra d’ailleurs à leurs besoins jusqu’à leur fin. Il tient aussi à leur faire savoir que leur fils leur fait honneur. C’est particulièrement sensible dans les lettres de New-York: il insiste sur la réception de ses travaux et sur le bon accueil que lui réserve le milieu académique. Pendant ces années de guerre, il s’inquiète, bien sûr, de leur sécurité et de leur confort. La santé du père est chancelante. Le couple s’est réfugié dans leur maison des Cévennes, dépourvue de confort. Ils devront d’ailleurs quitter cet abri, menacé à son tour. De son côté le fils tente de les faire émigrer aux États-Unis.

Drôle, féru de cuisine

Fallait-il publier ces lettres, se demande Monique Lévi-Strauss, la veuve de l’anthropologue. Oui, certainement. Elles font un contrepoint à la belle biographie d’Emmanuelle Loyer. Il s’y dessine un Lévi-Strauss intime: le soldat épris de solitude, agacé par les contraintes de la vie militaire. On devine le militant socialiste des années 1930. Le jeune professeur nouvellement marié, réservé mais souvent drôle, se montre féru de cuisine et de recettes, une passion qui l’accompagnera toute sa vie, avec celle des objets. Témoignages de la vie artistique et intellectuelle new-yorkaise dans le milieu des exilés, les lettres de l’exil sont aussi un commentaire des événements, où les noms des grandes puissances sont remplacés par ceux de proches – tante Alice, etc. … – censure oblige.

Comme il parle aussi des personnages réels, ce double emploi donne aux missives quelque chose de troublant et d’excitant. Et on voit naître les ambitions académiques que Lévi-Strauss aura de la peine à réaliser en France, à son retour à la Libération.I.R.

GENRE correspondanceAUTEUR Claude Lévi-StraussTITRE Chers tous deux, Lettres à ses parents 1931-1942PRÉFACE Monique Lévi-StraussAVANT-PROPOS Claude Lévi-StraussÉDITEUR La Librairie du XXIe siècle/SeuilPage 566