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Yves Bot, droit dans sa robe

L'ancien procureur de Paris, proche de Nicolas Sarkozy, est accusé d'être un magistrat politique. Il se verrait bien au poste de procureur général de la nation, dont il propose la création.

Par Gérard Davet

Publié le 15 mars 2007 à 15h12, modifié le 15 mars 2007 à 15h12

Temps de Lecture 5 min.

Il est l'ami de Nicolas Sarkozy et le revendique. Une posture qui tranche dans un univers, la magistrature, confit dans son conformisme et son corporatisme. A 59 ans, Yves Bot, l'ancien procureur général de Paris, n'est plus à un esclandre près. Un iconoclaste, rigolard et profond, sincère et matois. Un natif de la haute bourgeoisie judiciaire - son père fut procureur général -, magistrat jusqu'au bout de la cravate, aussi prompt à cavaler au chevet de ses six enfants, dont cinq filles, qu'à dégainer son code de procédure pénale.

Cet homme s'assume, y compris jusque dans ses amitiés politiques. "Ce n'est pas une proximité que j'ai avec Nicolas Sarkozy, mais une réelle amitié, assure-t-il tranquillement. On se ressemble : il est ouvert aux autres, veut faire bien. Il est dynamique, ce qui peut aussi être pris pour de la brutalité."

Il sait que cette liaison dangereuse avec le candidat de l'UMP l'expose aux critiques. Au pôle financier parisien, les juges d'instruction pestent encore contre sa propension, lorsqu'il fut procureur de Paris, à conserver les enquêtes sous le contrôle du parquet. "C'est un magistrat politique", tranche Dominique Barella, ancien président de l'Union syndicale des magistrats, aujourd'hui conseiller de Ségolène Royal.

On le suspecta, dans l'enquête contre le nationaliste corse Charles Pieri, de faire le jeu de Nicolas Sarkozy, qui voulait à tout prix une victoire judiciaire en Corse. En s'arrangeant pour confier l'enquête au juge Philippe Courroye, futur procureur de Nanterre, réputé lui aussi proche du candidat UMP, Yves Bot aggravait son cas. Bilan : Charles Pieri a été condamné en appel à huit ans de prison.

Aujourd'hui, avocat général à la Cour de justice des communautés européennes au Luxembourg, Yves Bot balaie les accusations qui l'ont poursuivi, en particulier durant sa carrière parisienne. "Tout l'intérêt de cette amitié, dit-il, c'est que Nicolas Sarkozy n'a jamais tenté d'influer sur les procédures que j'ai eu à gérer, comme Clearstream à ses débuts, ou l'affaire Dominique Ambiel."

Il pourrait également rappeler son parcours judiciaire, où les faits parlent pour lui. Procureur au Mans, il soutient Thierry Jean-Pierre quand le jeune juge ferraille avec le pouvoir socialiste. "J'avais beaucoup d'estime pour lui, se souvient Yves Bot, il était courageux et loyal." Même attitude à Nanterre, quelques années plus tard, lorsque le juge d'instruction Patrick Desmure enquête sur le RPR et son ancien président, Jacques Chirac. "Il n'a jamais cherché à entraver mon enquête sur le financement du RPR, se rappelle M. Desmure, il n'essayait pas de biaiser et s'en tenait à l'application du droit. Quand je lui réclamais des réquisitions, il prenait ses responsabilités."

Au cabinet de Pierre Méhaignerie, alors garde des sceaux, il avait réclamé l'ouverture d'une enquête préliminaire, quand Le Canard enchaîné avait révélé l'existence d'une caisse noire au CDS, le parti centriste, dirigé par son ministre. "A l'époque, il nous a dit qu'il valait mieux être net, assure M. Méhaignerie, il ne prend pas de parapluie, je ne l'ai jamais vu arrêter une procédure, de l'affaire Alain Carignon à l'affaire Michel Noir."

Brillant. Brutal. Affectif. Clanique. Les mêmes adjectifs reviennent à son propos. Jean-Claude Mari, actuel procureur de Paris, avec lequel il fut en concurrence à plusieurs reprises : "C'est un grand parquetier qui a une capacité d'analyse très acérée, avec une haute idée du parquet et de son autonomie d'action... Mais c'est vrai qu'il peut être brutal, et il le revendique." Les syndicats de magistrats n'ont jamais eu autant de travail que lorsqu'il gérait le parquet de Paris.

"J'étais procureur adjoint, avec quarante substituts sous mes ordres, je me suis retrouvé affecté à la circulation, avec un seul subordonné, du jour au lendemain", témoigne Jean-Claude Dauvel, proche de la gauche. Autre magistrat renvoyé sans façon, Michel Debacq, accusé d'avoir trahi la confiance de son supérieur. "Ce n'est pas de la brutalité, j'exerce mon autorité, se défend Yves Bot. Seulement, il n'y a pas trente-six façons de dire : "Vous m'avez déçu." Si la confiance n'existe plus... Evidemment, cela ne se pratique pas beaucoup dans la magistrature, dont le grand drame est le corporatisme. J'assume mes responsabilités, en dehors de tout clivage. D'ailleurs, j'ai même des anciens de la LCR avec moi..."

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Il se fit encore moins d'amis lors du procès en appel d'Outreau, quand il exprima ses "regrets" devant les caméras, dans la salle d'audience. "Il s'est donné le beau rôle, dit M. Barella, c'était d'une infinie démagogie." Cette fois, les critiques l'ont atteint. "Outreau m'a blessé dans ma justice. Mais je ne regrette pas mes propos, juste que cela n'ait pas été compris. Je voulais réexpliquer aux citoyens ce que j'avais dit à l'audience, où est le problème ? J'ai innové, certes, car je crois à la communication. Tant pis si j'ai brisé des tabous."

Il y a ceux qui l'ont toujours défendu. Frédéric Péchenard, le patron de la police judiciaire parisienne : "Lorsque l'auteur de la tuerie de Nanterre, Richard Durn, s'est suicidé dans les locaux de la brigade criminelle de Paris, il m'a tendu la main et m'a apporté un soutien total, alors qu'il n'y avait que des coups à prendre. Yves Bot a du panache, du courage, une attitude de chef." Laurent Lemesle, son successeur à la tête du parquet général parisien : "Il tranche dans la magistrature, il est extrêmement intelligent, rapide, direct, il prend ses décisions et les assume."

Au Luxembourg, on a le temps d'écrire. Il sort un livre, Ma justice (Bourin éditeur, 204 p., 18 €), dans lequel il réclame la création d'un poste de procureur général de la nation - indépendant du pouvoir politique -, qui lui irait très bien, si Nicolas Sarkozy était élu. Il ne feint pas son intérêt. "Il faudra bien créer ce poste un jour. Mais je suis nommé pour six ans au Luxembourg, j'aurai 65 ans au terme de ma mission, l'âge de la retraite. Il faut savoir passer la main et travailler pour l'avenir sans penser à soi-même."

L'avenir ? Sûrement pas un destin politique. "C'est un métier, je ne sais pas passer la main dans le dos." Plus probablement le Luxembourg, entre deux parties de chasse et l'élevage de ses chevaux. Il trouvera aussi le temps de veiller sur ses protégés, ces magistrats fascinés par le personnage, surnommés les "Bot people". Il les a réunis, chez lui, dans sa résidence sarthoise, lors de son départ de Paris. Et leur a donné un seul conseil : "S'il faut avoir un idéal, c'est celui de faire quelque chose de ses responsabilités."

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