Derrière le rideau d’arbres qui barre le paysage, la Seine coule en contrebas. Une Seine maigrelette dont les deux rives ne sont séparées que par 6 à 7 mètres d’eau. Nous sommes loin des quais et des ponts parisiens, dans un champ de Côte-d’Or, sur la commune de Vix. Ici a eu lieu, au tout début de 1953, une fabuleuse découverte, celle de la tombe inviolée d’une princesse celte. Soixante-six ans plus tard, les archéologues replongent depuis un mois dans ce passé vieux de deux millénaires et demi.
Pourquoi réexplorer ce qui a été déjà fouillé ? Pour le comprendre, retournons en janvier 1953. A Vix vit Maurice Moisson, un agriculteur qui connaît comme le fond de sa poche les terres du coin. Il a noté, sur le lieu-dit des Moussenots, la présence de grosses pierres qui n’ont rien à faire dans un terrain argileux. Il a l’intuition que quelque chose se cache là et le signale à René Joffroy, professeur de philosophie à Châtillon-sur-Seine, mais surtout passionné d’archéologie.
Après une campagne de fouilles menée au mont Lassois tout proche en décembre 1952, il reste encore un peu d’argent à Joffroy, assez pour ouvrir une tranchée de prospection aux Moussenots. Le 5 janvier, après deux jours de travaux, il quitte le chantier juste avant que le pâle soleil d’hiver ne se couche, tandis que Maurice Moisson, plutôt têtu, reste pour donner quelques derniers coups de pioche. Au bout de seulement cinq minutes, il voit apparaître un objet en bronze. Un gros, très gros, objet en bronze.
Un apogée aussi brillant que court
La suite a fini dans les livres d’histoire. Maurice Moisson vient de découvrir le sommet de ce qui est toujours le plus imposant cratère grec connu, un cratère étant un grand vase destiné à mélanger l’eau et le vin. La chose est hors norme : 1,65 mètre de haut, près de 209 kg, une contenance de quelque 1 100 litres. Et la décoration s’avère d’un raffinement inouï. Sur ses deux anses en volutes, la gorgone Méduse est représentée avec un visage effrayant, un corselet d’écailles et les jambes serpentiformes. Sur le col du vase, des soldats grecs défilent, alternant avec des cochers conduisant des chars de guerre. Le couvercle est percé de trous pour filtrer le vin qui, à l’époque, était agrémenté d’épices.
Mais que fait ce cratère un peu « bling-bling » sous terre ? Il accompagne dans sa dernière demeure une princesse celte dont le corps a été déposé sur un char – que l’on appellerait sans doute corbillard aujourd’hui – dont ne subsistent plus que quelques restes métalliques. Les 12 et 13 février 1953, après avoir mené la fouille dans des conditions météorologiques exécrables et avoir dû pomper l’eau qui s’infiltrait au fond de la tombe, René Joffroy termine en beauté avec le squelette de celle qu’on appelle désormais la Dame de Vix, accompagné d’un splendide torque, collier fait d’une épaisse tige d’or et décoré à ses extrémités par deux minuscules Pégase. Tout cela illustre à merveille l’idée que les Celtes de la région, organisés en petites principautés maillant cet espace de transition entre les fleuves du Sud (Rhône, Saône) et ceux du Nord (Seine, Rhin), ont connu un apogée aussi brillant que court entre 550 et 450 av. J.-C.
Il vous reste 48.76% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.