Elles n’y échapperont pas, même si cela complique leur modèle économique et bouscule leurs sacro-saintes traditions. Comme les marques roturières qui se sont toutes dotées de modèles zéro émission, les grandes maisons du luxe automobile vont devoir penser électrique beaucoup plus rapidement qu’elles ne l’envisageaient. Une conversion qui n’a rien d’une évidence.
A l’exception notable de Porsche, qui a négocié le virage sur les chapeaux de roue et semble être parvenu à y rallier sa clientèle (le Taycan électrique est déjà le numéro trois des ventes de la marque en Europe et la berline de luxe la plus vendue en Allemagne), le gotha automobile progresse laborieusement sur le chemin de la voiture « propre ». Bentley, intégré dans le groupe Volkswagen et de ce fait bénéficiaire de la technologie Porsche dans le domaine des hybrides rechargeables pour son SUV Bentayga, ne prévoit pas de passer à l’électrique avant 2025. A cette date, la norme européenne Euro 7 ne lui laissera pas d’autre choix d’autant que nombre de pays, dont le Royaume-Uni tout récemment, ont annoncé la fin de l’homologation des moteurs à essence à compter de 2030. Il va donc falloir envisager un carrosse tout électrique pour la couronne britannique. A quel horizon ? « Dans la décennie » répond, flegmatique, Rolls-Royce (groupe BMW). Bref, là encore, rien ne presse vraiment.
Ferrari avait juré ses grands dieux que l’électrification n’était pas son affaire. Maranello a tout de même cédé à la technologie hybride – présente de longue date sous le capot des formule 1 – avec la supercar SF90 Stradale, forte de 1 000 ch. Pour autant, une sportive 100 % électrique portant le sceau du cavallino rampante demeure un tabou. Chez Bugatti (groupe Volkswagen), le règne du moteur à combustion interne n’est pas près de s’achever. Le seul véhicule électrique disponible dans la gamme est un remake de la Baby de 1927… plus connue comme la voiture à pédales du jeune prince Abdallah dans Tintin au pays de l’or noir (1950). Disponible à partir de 30 000 euros, cette reproduction à l’échelle deux tiers de la Type 35 se destine aux enfants et adolescents.
Les réticences de la crème des constructeurs sont en partie culturelles. Depuis toujours, ces marques ont fondé leur identité sur d’aristocratiques mécaniques à combustion interne, synonyme de puissance et de souplesse. Sans parler de leur signature acoustique, tellement difficile à abandonner que BMW ou Porsche proposent aux acquéreurs de leurs modèles tout électriques une sonorisation reproduisant le grondement d’un moteur thermique. Franchir le Rubicon du tout-électrique, c’est s’aventurer en terra incognita, loin de sa zone de confort, sans pouvoir vraiment valoriser son héritage. L’univers du luxe automobile se trouve déstabilisé par l’électrification qui permet à n’importe quel constructeur d’atteindre des performances jusqu’alors inenvisageables. La version PSE de la Peugeot 508 hybride rechargeable développe 360 ch. Du jamais-vu. Capables d’abattre le 0 à 100 km en moins de trois secondes – il faut vraiment aimer… –, les plus puissantes des Tesla peuvent en remontrer aux sportives thermiques les plus affûtées, qui sont aussi beaucoup plus chères.
Aston Martin a fait marche arrière
L’obstacle principal, toutefois, semble être celui du coût. Habituées à renouveler leur gamme à un rythme de sénateur, ces firmes doivent bouleverser leur plan-produit et investir en masse (15 milliards d’euros pour le programme Porsche). Or, même si le marché mondial des voitures d’exception est assez florissant, les acheteurs ne sont pas forcément disposés à accepter une inflation des prix pour s’offrir un bilan carbone avantageux. C’est ainsi qu’après avoir fièrement annoncé l’arrivée d’une hypersportive tout électrique de 610 ch baptisée Rapide-E, Aston Martin a finalement fait marche arrière.
La nouvelle Maserati Ghibli hybride illustre à sa façon les affres dans lesquelles se débat le grand chic automobile à l’ère de l’électrification. Seule marque de très haut de gamme du groupe Stellantis formé par FCA (Fiat Chrysler Automobiles) et PSA (Peugeot, Citroën, Opel), le constructeur au trident avait annoncé avec tambours et trompettes l’arrivée de son « premier modèle électrifié ». Une nécessité face à la rigueur des normes européennes et, accessoirement, la sévérité de la fiscalité française. Hélas, la marque italienne n’avait pas les moyens de dégainer à grands frais une solution hybride rechargeable, comme ses concurrentes allemandes.
La « petite » Maserati (elle frise tout de même les 5 mètres) s’en remet donc à une micro-hybridation minimaliste. Au lieu du très musical V6 maison, elle se dote d’un quatre-cylindres turbo de deux litres fourni par Alfa Romeo, auquel on a adjoint un compresseur électrique et un alternateur de 48 volts. L’ensemble délivre 330 ch et de belles accélérations quoique dans un environnement sonore moins flatteur. Cette hybridation minimale réduit la consommation (nettement moins de 8 litres aux 100 km si l’on garde le pied léger), mais les consommations s’envolent si l’on cravache un tant soit peu l’ardente mécanique italienne. Résultat, la Ghibli hybride (74 700 euros), joliment agrémentée de parements bleus sur ses étriers de freins et ses ouïes d’aération, évite la punition maximale de 20 000 euros infligée à la version V6 mais subit au minimum un malus de 8 254 euros.
Dans les prochaines années, Maserati envisage un vaste programme de modèles électriques, parmi lesquels la plantureuse sportive MC20, et affiche l’ambition de tripler ses ventes d’ici à 2025. Un plan tributaire d’arbitrages qui s’annoncent serrés au sein du groupe Stellantis, dont les multiples marques – on en compte quatorze – promettent elles aussi d’ambitieuses perspectives d’électrification.
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