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PPDA : Narcisse sans miroir

Trente ans - ou presque - à dire "Madame, Monsieur, Bonsoir". A draguer la caméra. A se shooter à l'info. Et puis, plus rien. Cinq ans après avoir été évincé de TF1, il retrace sa carrière dans un livre de souvenirs.

Par  et Béatrice Gurrey/Photos Roberto Frankenberg

Publié le 29 mars 2013 à 12h34, modifié le 01 avril 2013 à 09h40

Temps de Lecture 18 min.

Patrick Poivre d'Arvor à Paris, le 19 mars 2013.

C'est encore beau, Le Touquet. Sous les pins, les villas tristes disent la splendeur passée. L'argent coulait à flots ici, pendant les Années folles. Aucune station balnéaire ne prétendait se comparer à la "perle de la Côte d'Opale", le nom chic inventé par ses promoteurs pour cette bourgade du Nord-Pas-de-Calais. Le plus riche casino de France, le plus grand nombre de monuments classés, les hôtels les plus inoubliables. Et puis un jour, brusquement, tout s'est arrêté. On était en 1929.

C'est drôle qu'il ait choisi cet endroit-là, Patrick Poivre d'Arvor. L'homme de tous les records qui aime à rappeler ses débuts fulgurants : "Un bac à 15 ans, un enfant à 16, un premier roman à 17", comme il l'écrit encore dans son autobiographie Seules les traces font rêver (éditions Robert Laffont, 384 pages, 21 €), son 74e livre, qu'il publie à 65 ans.

L'homme qui a battu la performance mondiale de longévité pour un présentateur de journal télévisé, presque trente ans. Le pape de la grand-messe cathodique la plus regardée, l'apôtre de la littérature qui a reçu "cinq mille écrivains en vingt ans d'émissions littéraires" - ExLibris, Vol de nuit, Place aux livres. Et pourtant, un jour, tout s'est arrêté. On était le 10 juillet 2008. TF1 venait de le virer.

DANS UN SILENCE RELIGIEUX, LA VOIX CARESSANTE DE L'EX-STAR

Il fait froid au Touquet-Paris-Plage, vendredi 15 mars. Des congères ont bloqué les voies ferrées, il faut aller jusqu'à Lille, ou s'arrêter à Boulogne-sur-Mer. Les frères Poivre d'Arvor ont bien failli se manquer. L'un revient d'un colloque à l'île Maurice avec Marc Lambron et Luc Ferry - Patrick, bien sûr.

L'autre, Olivier, le directeur de France Culture, arrive d'Amérique latine et repart le surlendemain en Afrique. Ils sont bronzés, jetlagués, un peu décalés. C'est à leur public qu'ils auraient manqué. Quelque 170 personnes, venues au Grand Hôtel, à la nuit tombée, pour assister à leur lecture de morceaux choisis de la correspondance des frères Van Gogh.

PPDA lit et commente Vincent, le peintre, qui écrit à Théodore, marchand d'art, et la salle écoute dans un silence religieux la voix caressante de l'ancienne icône de la télévision. Lettre du 15 octobre 1879 : "Nous ne nous étions plus vus depuis longtemps et nous n'avions plus guère échangé de correspondance, comme nous en avions autrefois l'habitude."

Puis cette phrase, rédigée à Auvers-sur-Oise, au cours de l'année 1890, celle de son suicide : "J'ai bien senti à Paris, que tout le bruit de là-bas n'est pas ce qu'il me faut." Ou encore, cet extrait de la dernière lettre que Vincent Van Gogh portait sur lui, jamais envoyée à Théo : "Eh bien ! Mon travail à moi, j'y risque ma vie et ma raison y a fondré (sic) à moitié." Il pourrait tout reprendre à son compte.

 "JE LE TROUVE SINCÈRE, CE N'EST PLUS LE MÊME HOMME"

Quand Olivier Poivre d'Arvor clôt le spectacle par quelques pages d'un beau récit de la journaliste Judith Perrignon glissée dans la peau de Théo Van Gogh (C'était mon frère..., L'iconoclaste, 2006), le public applaudit à n'en plus finir. On voit bien qu'il aime cela, PPDA, sous son air de cocker nostalgique. Les deux frères n'ont pas répété, ils s'excusent d'avoir un peu buté sur les mots. Le succès est total.

Christiane, 77 ans, ira de nouveau les écouter à Auvers-sur-Oise, en septembre. Mais elle ne poussera pas jusqu'à Amsterdam pour la troisième lecture. "Comme journaliste, je l'adorais et je le détestais à la fois, à cause de son sourire narquois, confie la retraitée de la Banque de France. Je le trouve sincère. Ce n'est pas le même homme qu'à la télé."

Patrick Poivre d'Arvor, à Paris, le 19 mars 2013.

Sûr, Christiane, ce n'est plus le même homme. Il attire toujours du monde, comme si cette lumière extrême sous laquelle il fut placé réverbérait encore, comme s'il était une étoile, brillante et pourtant disparue. Une star, une vraie, si longtemps. Ceux qui l'accompagnaient au Festival de Cannes, pour ces "JT" délocalisés, entendent encore les cris des badauds sur la Croisette, "Patriiick ! Patriiick !" - autant d'hystérie, sinon plus, que pour les vedettes de cinéma.

 LES POUSSÉES D'ADRÉNALINE DE 19 H 59

Alors, après la lecture, après les signatures, les dédicaces - les deux frères ont écrit 10 livres ensemble, 18 avec les rééditions -, PPDA philosophe : "C'est bizarre de passer de 10 millions de gens à 200. Mais mine de rien, le rapport est beaucoup plus fort. Entendre cette écoute, je trouve ça toujours... frémissant."

Bizarre, vous avez dit bizarre ? Pendant un an, au bas mot, il a été infernal, déprimé, revanchard. Son livre raconte la drogue dure que furent la gloire, l'information à jet continu, la fréquentation des puissants. Il s'aimait, dans l'oeil de la caméra. "Il la draguait, cette caméra, raconte une ancienne consoeur. Cette puissance de drague et de narcissisme ne peut pas correspondre davantage à la place où il était. Il y avait une sorte d'adéquation parfaite." D'un coup, Narcisse s'est retrouvé à sec, sans mare pour se mirer. En oubliant dans sa douleur aveugle que cette privation pouvait le sauver.

Patrick Poivre d'Arvor a présenté le JT de TF1 de 1987 à 2008.

Personne, sans doute, ne peut résister à tant de lumière. Aux poussées d'adrénaline éprouvées à 19 h 59, quand il est trop tard pour tout. "Je sais pour en avoir parlé avec lui combien il adorait arriver tard sur le plateau, il adorait se faire peur, atteste Gilles Bouleau, l'actuel présentateur du 20 Heures. Il voulait de la prise de risque."

 POURQUOI ENJOLIVER QUAND ÇA RESSEMBLE DÉJÀ À UN ROMAN ?

Histoire de prouver qu'il maîtrisait si bien l'exercice qu'il pouvait y ajouter ce piment ? Ou pour imaginer le vertige de la chute ? Il voulait en tout cas "monter en marche dans ce train", comme animé d'un mouvement perpétuel. Cet homme court toujours après sa vie, même au sens propre. Maintenant, il se fait des toutes petites peurs. Il voulait qu'on aille l'interviewer à peine descendu de son avion, entre deux partances, pour être "opéré à chaud", comme il a dit. Ben non.

Chez lui, à Neuilly, il y a des livres partout, du sol au plafond, des murs de livres, une cage de livres, un cocon de livres. Il est courtois, trop calme, vaguement amusé et un peu inquiet. D'un geste ennuyé, il balance les petites particules blanches posées sur son épaule droite, visibles sur la veste de velours bleu nuit. Nous, on fait la fouine, parce qu'on a été prévenu par d'excellents confrères : il a tendance à enjoliver. Mais pourquoi enjoliver quand la vie ressemble déjà à un roman ?

Conversation des deux frères, l'autre soir au dîner du Touquet. Olivier : "Objectivement, tu as fait des choses." Patrick : "Des kilomètres. O : "Si tu pouvais être content de toi un jour, ce serait bien." P : "C'est pas gagné." Les réparties se sont enchaînées comme un jeu à balles molles, ce n'était pas la première fois qu'elles servaient. Olivier, le cadet, ne cache pas qu'il en a eu marre, parfois, de cet aîné de onze ans qu'il fallait conforter, consoler, soutenir. D'ailleurs, ils s'étaient un peu moins vus ces derniers temps, avant la lecture des Van Gogh.

 UN ÊTRE ÉTRANGE, ABÎMÉ PAR LA SUREXPOSITION

Aujourd'hui, assis sur son canapé, PPDA regarde les choses d'un oeil plus froid, par rapport à la télé. "Ça m'a manqué violemment pendant six mois." Sa came, c'était l'info, tous le savaient : "Il y a une sorte de perfusion dans le bras et, quand on vous l'arrache, c'est pas si facile." Mais ça va mieux. Dominique Ambiel, l'ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, qui le connaît depuis la fin des années 1970 et qui l'a accueilli dans sa société de production, l'a vu, après son éviction, au 36e dessous à chaque élection en France, à l'avènement d'Obama et pour n'importe quel événement de dimension internationale.

Pendant des mois, il l'a senti vissé au rétroviseur - il n'arrêtait pas de comparer ses audiences à celles de sa remplaçante, Laurence Ferrari. Il la vilipendait dans tout Paris. "Il y a moins de voracité maintenant à remplir le moindre bout d'emploi du temps", dit Dominique Ambiel. L'ancien présentateur reconnaît quand même qu'il a eu "un moment difficile au moment de la présidentielle de 2012. Plusieurs fois j'ai eu des fourmis. Mais elle était nettement moins intéressante que les précédentes".

Après l'info, son autre passion, les femmes : sa liaison avec Claire Chazal (ici, en 2005), dont il a eu un enfant, a été révélée par la presse people.

Des moments difficiles, il y en a eu d'autres, par cette sorte d'enchaînement inexorable qu'entraîne la perte du pouvoir. A un moment, trop d'argent, trop de femmes, trop de voyages et, pour tout dire, trop de puissance, ont fait de lui "un être étrange, qui fuyait ce qu'il aimait. Il est tombé dans une sorte d'abîme", dit une consoeur. Un être abîmé donc, brûlé de l'intérieur par la surexposition qu'il recherchait et qu'il exécrait d'un même mouvement. Comme terni, malgré le perpétuel bronzage.

 HUMEURS DE DIVA ET BRÛLOT ANONYME CONTRE TF1

Trop de douleur aussi. La France entière avait appris le suicide de sa fille anorexique Solenn, en janvier 1995, qui s'était jetée sous une rame de métro. Il l'évoque à maintes reprises dans son livre et lui a déjà consacré deux ouvrages. Le couple qu'il formait avec sa femme Véronique - ils ne sont toujours pas divorcés - a perdu un enfant de la mort subite du nourrisson avant la naissance de Solenn et un autre, mort-né dans un accident de voiture.

Ses proches s'accordent à le dire fragile, ses ennemis ne lui pardonnent pas ses fautes. Ses anciens amis se sont lassés de son irascibilité et de ses humeurs de diva. Peu à peu, ils l'ont vu devenir taciturne, voire agressif. Le brûlot anonyme contre TF1 "Madame, Monsieur, Bonsoir..." (Panama, 2008), paru quelques mois avant son licenciement, et où il était sévèrement égratigné, l'avait survolté.

"Il n'avait plus de discernement. Il hurlait tout le temps alors que c'était le mec le plus calme du monde", témoigne un journaliste de la chaîne. Beaucoup se sont lassés qu'il crache sur ce qu'il avait adoré. Puis, une fois déchu, qu'il continue à faire des crises dans les dîners, des crises partout, s'il n'était pas au premier rang, s'il n'avait pas la bonne chambre.

Tout à coup, cela ne servait plus à rien d'avoir été si gentil, si habile, si séduisant. Pire qu'un homme politique, PPDA. A chaque auteur qui lui envoyait sa prose, ou presque, un petit mot manuscrit. Et lui-même avait publié dans la moitié des maisons d'édition de Paris. Bref, personne n'avait envie de se fâcher avec lui. Il serait pourtant stupide de le réduire à un système mondain d'ascenseurs bien huilés.

UN FOU DU TERRAIN, QUI PIGEAIT LA SITUATION AU QUART DE TOUR

S'il y avait encore des journalistes exigeants pour lui reprocher le montage de ses questions dans une conférence de presse de Fidel Castro, ou pour s'offusquer qu'il confonde journalisme et humanitaire, l'indulgence et l'indifférence ont fini par l'emporter. Combien de correspondants en poste à l'étranger ou de grands reporters partis sous les bombes, dans les camps de réfugiés ou vers un tremblement de terre, se sont félicités de travailler pour le 20 Heures de PPDA ? Un fou du terrain, qui pigeait la situation au quart de tour et qui faisait retomber sur cette équipe des parcelles de sa gloire.

Qui n'a-t-il pas interviewé ? Oublions les stars de cinéma, les écrivains, et les artistes de tout poil qui auraient tout fait pour passer au 20 Heures. Le journaliste vedette de TF1 a interrogé tous les présidents français qui furent ses contemporains et pas mal d'étrangers. A droite ou à gauche, c'est toujours une saine insolence qui lui fut reprochée. Naturellement, la presse se jettera dans son livre sur le chapitre de ses relations avec Nicolas Sarkzozy, dont il répétait à tout vent qu'il lui devait son éviction.

Il cite près de quatre-vingts fois l'ancien président qu'il traita publiquement à l'antenne de "petit garçon dans la cour des grands", après le premier G8 du chef de l'Etat. C'était assez juste et très gonflé. "Après avoir obtenu le scalp d'Alain Genestar, le directeur de Paris Match, coupable d'avoir affiché à la "une" de son hebdomadaire la photo de Cécilia Sarkozy et de son futur mari, Richard Attias, le chef de l'Etat avait souhaité le mien", écrit-il. Et Dieu sait que le scalp est un sujet délicat.

"25 SECONDES PAS PLUS" SUR LES COMMISSIONS OCCULTES

PPDA a même failli se fâcher avec cet ami dont il partage tous les secrets, son cher Dodo, Dom, Doumé Ambiel, pour une histoire de cheveux. En 2008, année fatale, l'ancien conseiller de Matignon s'est mis en tête de raconter avec son compagnon de plume favori, l'auteur dramatique Antoine Rault, ancien conseiller politique, une fiction qui ressemble à s'y méprendre à la réalité, Qui veut la peau du président ? (Denoël, 2008). Yann François d'Arvor y est aux commandes du 20 Heures depuis plus de vingt ans ; "Chaque année ses cheveux repoussaient - une tendance chez les quinquagénaires riches - et ses beaux traits virils se marquaient un peu plus." Grosse colère, grosse dispute.

Mais gageons que c'est plutôt la suite qui l'irrita, car le journaliste et son directeur de l'information, Laurent Macias (Robert Namias, autre pseudo transparent), y évitent soigneusement les sujets brûlants. Quand Gaston Gachy (François Bachy, ce n'est même plus un roman à clé), le chef du service politique, demande comment sera traitée l'info sensible du jour sur des commissions occultes touchées en marge de gros contrats d'armements en Arabie saoudite, il doit préparer un texte de "vingt-cinq secondes pas plus" lu en fin de journal. Courage, fuyons.

Dans la vraie vie, enfin dans son livre, Patrick Poivre d'Arvor assure que Patrick Buisson, le très droitier conseiller du président de la République Nicolas Sarkozy, travaillant par ailleurs pour le groupe TF1, "fut chargé par Nonce Paolini [le nouveau directeur de la chaîne] de présenter au chef de l'Etat le schéma de mon exfiltration une semaine avant que je sois au courant de quoi que ce soit". Après s'être expliqué avec l'ancien locataire de l'Elysée, PPDA semble avoir désormais accepté la thèse du zèle à tous les étages. "A eux de se débrouiller avec ça", aurait répondu selon lui le président. Même si l'ex-présentateur ne peut ignorer la virulence du coup de fil présidentiel au lendemain de la fameuse interview. "C'est ton Poivre autant que le mien !", aurait fini par rétorquer Patrick Le Lay, viré lui aussi, comme Etienne Mougeotte.

 PLAGIAT : "IL S'EST EXPLIQUÉ 43 FOIS. A UN MOMENT, ÇA SUFFIT"

Le conflit entre l'ex-star du 20 Heures et sa chaîne n'est toujours pas résolu. Alors qu'il avait touché des indemnités de départ l'obligeant à un devoir de "non-dénigrement", TF1 lui réclame 417 000 € pour violation de ce principe. L'affaire peut durer très longtemps, car PPDA s'est pourvu en cassation. L'avocat Emmanuel Pierrat, spécialiste du droit de la presse et de l'édition, souligne que cette procédure n'est pas suspensive et que la somme a dû être versée à TF1 pour valider le pourvoi.

Ce que l'on sait moins, assure un proche, c'est que Poivre a versé ses indemnités à l'hôpital pour anorexiques qu'il a contribué à créer en 2004 avec Bernadette Chirac, la Maison de Solenn. Le pédopsychiatre Marcel Rufo, qui en a assuré la mise en route, lui voue une réelle affection. Il affirme qu'il y a mis "beaucoup, beaucoup d'argent".

En mémoire de sa fille anorexique, qui s'est suicidée en 1995, il a participé à la création de l'hôpital pour adolescents la Maison de Solenn. Ici, en 2004, avec Marcel Rufo, Bernadette Chirac et Véronique Poivre d'Arvor, la mère de Solenn.

Le pire, pour PPDA, était à venir. Deux affaires de livres qui lui restent en travers de la gorge. Accusé de plagiat sur une biographie d'Hemingway, dont il expliqua que la version parvenue aux journalistes en service de presse n'était pas la bonne, Patrick Poivre d'Arvor a fini par publier un livre, Hemingway, la vie jusqu'à l'excès (Arthaud, 2011), que son frère juge quasi impeccable : "Regardez bien le livre. Il y a trois lignes semblables. Je me sentais très concerné. On a quand même écrit beaucoup de livres ensemble. C'est un procès d'intention complètement cinglé, tranche Olivier Poivre d'Arvor. Sur quarante ans de carrière et des milliers de JT, on continue à lui reprocher des faits sur lesquels il s'est expliqué quarante-trois fois. A un moment, ça suffit."

 L'EGO ET SES AFFRES, LA VIE RÊVÉE ET LES PIÈGES DE LA RÉALITÉ

Tous ses amis s'accordent à dire que cette affaire-là fut de loin la plus douloureuse. Elle touche à l'être et à l'image, chez une personnalité où tout est multiplié par cent. L'ego et ses affres, la vie rêvée et les pièges de la vie réelle. "Il se raconte en permanence une histoire sur lui-même et c'est le reflet qu'il attend dans les yeux des autres", note finement une ancienne complice d'antenne. Pauvre Narcisse qui voudrait être Hemingway, Miller ou Steinbeck. Mais qui n'est pas non plus Philip Roth, car il n'a pas écrit La Tache.

Après l'affaire, il a commis un petit polar édité au Cherche Midi, Rapaces (2012), dont le héros est Chris Rather, un présentateur (français !) de journal télévisé archi-populaire, retrouvé noyé dans un étang un mois avant la présidentielle de 2012. La veille, il avait interviewé le président de la République... comme le dit la quatrième de couverture avec des gros points de suspension.

Fort sagement, un ami véritable lui conseilla de différer la publication de cet opus, écrit dans l'urgence après la brûlure Hemingway. A la place, ce graphomane qui remplit des rames entières de papier A4 à l'encre violette - on a vu les manuscrits, bien rangés - écrivit, toujours dans l'urgence, un joli livre sur sa mère qui lui avait donné trop peu d'affection.

LE SOUFFLE, MAIS NI L'ASCÈSE NI LA DISTANCE

Mais quel dommage, pourquoi dire, sans le dire vraiment, dans L'Expression des sentiments (Stock, 2011) que la polémique Hemingway avait accéléré la mort de sa mère ? Il a le souffle, la longueur de jambes, il lui manque l'ascèse, la distance. Peut-être quelque chose qui s'appelle le travail.

Prenez Fragments d'une femme perdue (Grasset, 2009), le second livre qui lui cause du souci. Son ancienne maîtresse, Agathe Borne, s'y est formellement reconnue et l'attaque en justice pour atteinte à la vie privée et contrefaçon de lettres ou de SMS. Le procès qu'il a pour l'instant perdu doit être jugé en appel en juin.

Après sa relation avec Agathe Borne (ici, au  Festival de Cannes en 2008), il a écrit un livre qui lui  vaut d'être condamné pour atteinte à la vie privée. Il a fait appel.

Résumé de l'intrigue : un pauvre gars se fait dépecer par une mangeuse d'hommes très belle et un peu paumée. Il est question d'"amour incandescent", de "port de princesse" et autres clichés un peu lamentables. Evidemment, il ne peut jamais s'empêcher de la rappeler, de lui envoyer des SMS, et à la fin, il meurt. Ah oui, avant, il lui arrive quand même un truc incroyable : "Ce colosse si fort dans son métier était devenu une marionnette." C'est l'histoire de Pinocchio, non ?

PAS RESPONSABLE DE SA MARIONNETTE DE LATEX

Et pourtant, avec PPDA, même les choses les plus invraisemblables peuvent arriver. Après un quinquennat entier sans JT, il a toujours sa marionnette aux Guignols de l'info sur Canal+. Il a fini par avoir le bon goût de s'en amuser, après s'être souvent agacé de cette ombre portée - quand il présentait encore le journal. "Je ne la regarde jamais [son nez s'allonge], on m'avait conseillé d'attaquer, puis de demander des royalties. Je n'en ai rien fait. Cette marionnette a vécu sa vie et moi la mienne."

Sa marionnette fera-t-elle mieux ? Cinq ans après l'éviction de PPDA,  PPD est toujours là.

Il lui est arrivé, à Roland-Garros - théâtre de moult événements de sa vie personnelle et professionnelle -, de se trouver à côté d'une femme de ministre très pincée. N'y tenant plus, elle lui avait lancé : "Ce n'est pas bien ce que vous avez dit hier sur mon mari. Je ne vous parle pas de la Une, mais de la Quatre." Il a fallu expliquer qu'il n'était pas responsable de sa marionnette de latex. Quelqu'un lui a reproché, voilà quelques jours, ce qu'elle avait dit sur le pape.

Point trop n'en faut. Il sera donc fixé dans quelques mois sur son litige avec Agathe Borne, "cette personne qui avait lu le livre, qui m'avait fait des compliments très forts, qui voulait que sa photo soit en couverture". Son frère, là encore, s'est juré d'être son avocat au nom de la création littéraire. Malheur à qui ose soulever devant lui le paradoxe de ce journaliste, qui avait lui-même écrit une Lettre aux violeurs de vie privée (Albin Michel, 1997).

"PPDA, LE BECKHAM DU PARIS SAINT-GERMAIN"

C'était après un épisode assez violent, où les deux frères avaient été poursuivis jusqu'en Grèce par des paparazzi. Solenn était morte depuis peu. François, le fils de PPDA et de Claire Chazal, venait de naître - l'enfant n'était d'ailleurs pas là. Les photographes auraient donné n'importe quoi pour le moindre cliché. C'est eux qui avaient fini poursuivis. "Ça n'a rien à voir ! tonne Olivier Poivre d'Arvor. J'ai quand même couru après des mecs qui m'avaient photographié dans ma chambre. Dans la littérature, on ne compte pas les écrivains qui nourrissent leurs romans de faits intimes. Sinon, bon nombre de livres n'existeraient pas."

"Avec le temps, raconte sa fidèle collaboratrice Marie-Hélène Mille, il s'est aperçu qu'il pouvait faire des choses à 20 heures. Aller dîner, aller au cinéma, voyager sans revenir ventre à terre." Il reçoit moins de lettres. Avant c'était 60 par jour et jusqu'à 80 quand il a quitté le JT. "Toutes les anorexiques de Paris, tous les Bretons de France, tous les écrivains en herbe lui ont écrit. Et il répondait à chacun", dit encore la jeune femme. "Il a le sentiment qu'il est toujours attaqué et que l'on ne s'intéresse jamais à ce qu'il fait de bien", relève son avocat, Francis Teitgen - comme ces concerts-lecture qu'il donne avec son "plus ancien ami", le pianiste Jean-Philippe Collard.

Les gazettes (Le Point.fr, puis Libération) ont assuré que son nom circulait pour diriger l'un des journaux du Sud, La Provence ou Nice-Matin, rachetés par Bernard Tapie, mais qu'il avait refusé. C'est faux, mais il ne nie pas que cela lui aurait bien plu. D'où venait l'info ? "Vous savez, c'est ça le pire avec les rumeurs, elles se mordent la queue. Il ne m'a même pas contacté." Bernard Tapie confirme à grands cris : "Jamais, jamais, jamais ! Ce serait très mauvais pour lui et pour moi ! Vous voyez ça, le mec qui arrive de Paris le lundi à 15 h, qui repart le vendredi matin. Il faut quelqu'un qui vive ici. PPDA, ç'aurait été le Beckham du Paris Saint-Germain." Il espère qu'on va garder la formule.

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