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TRIBUNE. Marlène Schiappa et Tristane Banon : « Que faire des connards innocents ? »

Dans une tribune au JDD, les deux femmes, secrétaire d'Etat à l'Economie sociale et solidaire pour l'une, écrivaine pour l'autre, expliquent que « la morale ne doit jamais remplacer la justice ».

Rédaction JDD , Mis à jour le
Marlène Schiappa et Tristane Banon.
Marlène Schiappa et Tristane Banon. © Pascal Le Segretain/Getty Images et Stephane Mouchmouche/Hans Lucas

Si elles admettent que « la justice française est perfectible », Marlène Schiappa et Tristane Banon assurent qu'elle reste « la meilleure assurance de notre vie collective ». Voici leur tribune :

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« Depuis plusieurs années, et avant que le sujet ne devienne « un sujet de société », nous avons combattu les violences sexistes et sexuelles. Nous les avons vécues, nous les avons affrontées. Chacune à notre manière, à coups de lois, de livres et de débats, nous avons donné du temps et de l’énergie pour mieux protéger les femmes. Nous l’avons fait tandis que le féminisme était encore un mot tabou. Ce mot, nous lui donnons le sens des droits universels et de l’égalité femmes-hommes. C’est en son nom que nous croyons en l’État de droit.

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Nous l’affirmons car voilà que le débat public nous a sommées cette année de nous positionner dans le camp de la morale ou dans celui de la justice, comme si c’était choisir entre le camp des opprimés ou celui des oppresseurs, des femmes ou des hommes, des victimes ou des coupables. Défilent sous nos yeux ces articles sur cet homme politique dont on écrit qu’il n’a rien commis d’illégal mais qu’il s’est souvent comporté, en résumé, comme un connard avec les femmes.

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Faut-il forcément être en tout point aimable pour être innocent ? Doit-on apprécier un individu pour accepter que la justice le disculpe ?

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Faut-il forcément être en tout point aimable pour être innocent ? Doit-on apprécier un individu pour accepter que la justice le disculpe ? Inversement, doit-on tout accepter des hommes que la justice ne condamne pas ? Ainsi faudrait-il occire la présomption d’innocence, remettre en cause le débat contradictoire, forcer chaque citoyen à faire savoir son avis sur des dossiers judiciaires auxquels il n’a pas eu accès…

Or la morale ne doit jamais remplacer la justice. La loi doit en rester éloignée si elle veut demeurer garante de l’intérêt général. Oui, la justice française est perfectible. Mais elle reste la meilleure assurance de notre vie collective en ce qu’elle interdit l’arbitraire, protège chaque citoyen des vengeances expéditives, des vendettas et des lynchages, de la loi du talion et des jugements kafkaïens. L’histoire de l’humanité est pleine de « meurtres moraux » avalisés par les foules, de goudron et de plumes, le temps a fini par appeler ça de la barbarie. Ça n’a pas d’autre nom.

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Nous, féministes convaincues, refusons de juger les promesses d’amour éternel non tenues, les filles de l’air qui sont des hommes légers, les multidivorcés, les néo-amoureux, les couples officieux

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Comment accepter qu’il nous soit demandé de condamner des innocents au motif qu’ils sont aussi des goujats ? Faut-il alors emprisonner tous les mufles ? Faire le procès des dons Juans ? Exiger la prison pour les maris adultères ? Condamner les partouzeurs ? Allons-nous vraiment accepter que la société juge les amants aux mauvaises manières, les serial fuckers, les comptables de sextos, les amateurs de magazines de charme, les inconstants, les mauvais ex ? Voulons-nous vraiment nous faire, collectivement, les arbitres des bonnes manières ?

Nous, féministes convaincues, refusons de juger les promesses d’amour éternel non tenues, les filles de l’air qui sont des hommes légers, les multidivorcés, les néo-amoureux, les couples officieux ! Aucun diplôme de vertu pour personne. Les mouvements de libération de la femme se sont battus contre le divorce pour faute et pour rayer l’infidélité de notre Code civil, ne détournons pas MeToo pour en faire le symbole d’un dramatique retour en arrière.

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Nous nous refusons à juger la moralité des vies privées, comme nous nous refusons à être jugées sur la nôtre

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Peut-être faudrait-il rappeler à ceux qui veulent la prison pour tous les malappris que les femmes savent aussi briser des cœurs, quitter à distance, oublier de rompre avant d’entamer la relation suivante ? Brassens chantait si justement : « Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière. » Comme lui, nous nous refusons à juger la moralité des vies privées, comme nous nous refusons à être jugées sur la nôtre.

Nous aussi avons peut-être trompé, quitté sans prévenance, perdu le numéro de téléphone d’anciens amants. Nul n’est glorieux à tous les instants de sa vie privée. Mais elle est privée. Quand les féministes des années 1970 clamaient « le privé est politique ! », elles n’entendaient pas étaler la vie de chacun dans les journaux. Envers les femmes, il y a les crimes contre lesquels nous ne cesserons jamais de lutter, les délits aussi, le continuum des violences, du harcèlement de rue aux féminicides. Soyons impitoyables avec leurs auteurs !

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Confondre morale et justice est un jeu dangereux

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Et puis il y a ces impolitesses et ces irrévérences que nous ne nous empêchons pas de rejeter à titre personnel, mais pour lesquelles nous refusons la guillotine. Alors, que faire de ces connards innocents ? Au fond, est-ce bien à nous de répondre ? Confondre morale et justice est un jeu dangereux, pour les femmes comme pour les hommes, pour les victimes d’aujourd’hui qui seront les coupables de demain, et pour la société tout entière. »

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