Plus de 25 000 morts à Gaza depuis le déclenchement de la riposte d’Israël à l’attaque du Hamas, le 7 octobre dernier.

Mais même à gauche, les appels pour que la Suisse demande un cessez-le-feu restent timides. Les militants luttent dans l’ombre pour que les revendications de la rue soient relayées par les partis et syndicats.

Evoqué en novembre déjà par des rapporteurs spéciaux des Nations Unies, le terme de «génocide» reste tabou dans les partis. Les tentatives de militants pour qu’il apparaisse dans des prises de position se sont heurtées à un mur.

Selon plusieurs personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues, la peur d’être accusé d’antisémitisme est très présente.

Et le Röstigraben est bien réel, même au sein des mouvements militants. La solidarité avec les Palestiniens s’est d’ailleurs moins exprimée publiquement en Suisse alémanique, où des manifestations ont été interdites dans certaines villes.

«Une manière de combler le silence du PS»

Au Parti socialiste, la seule prise de position officielle vient des femmes socialistes, publiée à l’occasion de la Journée internationale des droits humains, le 10 décembre dernier. Elle demande un cessez-le-feu immédiat et au Conseil fédéral de s’engager activement pour le respect du droit international humanitaire et le droit au retour des réfugiés palestiniens.

«Ce texte est une manière de combler le silence du PS suisse. Nous devons nous engager pour la fin de l’occupation israélienne», affirme Mathilde Mottet, membre du comité directeur des femmes socialistes.

Pour la Neuchâteloise Martine Docourt, encore coprésidente des Femmes socialistes suisses jusqu’en février, la prise de position avait pour but d’exprimer de la solidarité, tout en dépassant les appréciations divergentes.

«Manque de cohérence»

Le PS suisse n’a, quant à lui, jamais demandé officiellement de cessez-le-feu. Président du groupe parlementaire Suisse-Palestine, le conseiller aux Etats genevois Carlo Sommaruga ne cache pas son mécontentement.

«Le PS est totalement silencieux et c’est inacceptable, tant d’un point de vue moral que politique», lâche-t-il, en dénonçant un manque de cohérence avec des prises de position rapides du parti sur les violations des droits humains ou du droit international dans d’autres contextes.

Il y a deux fois plus de victimes civiles à Gaza qu’en Ukraine

Carlo Sommaruga, conseiller aux Etats (PS/GE)

Présent à la manifestation nationale à Bâle samedi dernier en soutien à la Palestine, il a été surpris de n’y voir aucun autre élu socialiste. «Plus de 16 000 enfants sont morts, des hôpitaux, des écoles sont bombardées. Il y a deux fois plus de victimes civiles à Gaza qu’en Ukraine», souligne-t-il.

Prise de position souhaitée

Lors de la session parlementaire d’hiver, sa tentative de faire un point d’information sur le Proche-Orient avec son groupe parlementaire s’est heurtée à un refus, au motif que d’autres sujets étaient prioritaires.

Le sénateur ne lâche pas. Il veut que son parti se positionne pour demander au Conseil fédéral d’appeler à un cessez-le-feu immédiat, que celui-ci agisse contre les restrictions d’accès à l’aide humanitaire. Et espère une prise de position de la direction du parti au plus tard lors du congrès du 24 février.

Alors que la Belgique a augmenté sa contribution à la Cour internationale de justice pour qu’elle ait les moyens d’examiner la requête de l’Afrique du Sud contre Israël, il estime que la Suisse doit faire de même.

«Un sujet sensible»

Pour Samuel Bendahan, co-président du groupe au Parlement, la position du PS est claire. «Nous condamnons la violence, appelons à la paix et au cessez-le-feu», affirme-t-il.

Cette position a été partagée sur les réseaux sociaux par des membres individuels du parti. «C’est un sujet sensible, nous laissons la parole aux spécialistes. Et depuis la Suisse, la marge de manœuvre est limitée», poursuit-il.

Les Verts se sont montrés plus proactifs, que ce soit pour condamner le Hamas comme pour condamner Israël. Leur première prise de position demandait des sanctions contre le Hamas au lendemain des attaques du 7 octobre.

«Un thème très discuté»

Un mois plus tard, le parti appelait le Conseil fédéral à s’engager en faveur du droit international humanitaire et pour un cessez-le-feu.

«Depuis la guerre d’agression russe, nous avons décidé d’ancrer plus clairement notre position sur le droit international», souligne le conseiller national genevois et vice-président des Vert.e.s Nicolas Walder.

Même à droite, même en Suisse alémanique, les crimes de guerre perpétrés à Gaza commencent à être visibles

Nicolas Walder, vice-président des Vert.e.s

«Des ministres israéliens tiennent des propos inacceptables, quand ils affirment par exemple vouloir expulser les Palestiniens des territoires», s’inquiète-t-il. Il ne parlera pas pourtant de génocide, ni de risque de génocide, «un terme juridique qui doit être démontré».

«Il est compliqué pour la gauche aujourd’hui d’imposer une position forte et engagée face à la majorité de droite. Mais je ne suis pas d’accord qu’on dise qu’on ne fait rien! En commission de politique extérieure, c’est le thème le plus discuté. Et nous sentons que certains commencent à être gênés par leur position pro-israélienne. Même à droite, même en Suisse alémanique, les crimes de guerre perpétrés à Gaza commencent à être visibles», ironise Nicolas Walder.

Les féministes au front

Du côté des syndicats, une prise de position de l’Union syndicale suisse a été arrachée de haute lutte. Comme au PS, ce sont les féministes, au sein de leur commission, qui sont à l’origine de la résolution. Signe d’un malaise, aucune membre contactée n’a voulu s’exprimer dans nos colonnes sur ce sujet.

La gauche devrait se rapprocher de ses fondamentaux et faire pression sur le gouvernement

Davide Filippo, président de la Communauté genevoise d’action syndicale

La résolution demande notamment un cessez-le-feu et la création de corridors humanitaires. «Le texte final est le fruit d’un compromis, entre deux visions opposées. Il est regrettable qu’il n’y ait pas de position plus ferme. La gauche devrait se rapprocher de ses fondamentaux et faire pression sur le gouvernement», juge Davide de Filippo, président de la Communauté genevoise d’action syndicale, la faîtière des syndicats du privé et du public.

Pour d’autres, cette prise de position «a au moins le mérite d’exister» et sert de base aux syndicats pour une solidarité internationale.

Syndicalistes unis pour un cessez-le-feu

A Syndicom, des journalistes ont interpellé le syndicat sur les démarches prises à la suite de la mort d’au moins 119 reporters, selon les derniers chiffres du bureau gouvernemental des médias à Gaza.

«Notre profession est directement attaquée par le gouvernement israélien. Il y a des assassinats ciblés de journalistes, au milieu du génocide en cours, pour les empêcher de documenter ce qui se passe», alerte la journaliste Laura Drompt.

Dans le cadre de la manifestation nationale du 13 janvier, des syndicalistes de tous les métiers se sont réunis en vue de la création d’un réseau en faveur d’un cessez-le-feu.

Manifestation pour la Palestine à Genève

Samedi, près de 2000 personnes se sont réunies à Genève pour exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien.