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Lara Gut, l’instinctive

Dans l’aire d’arrivée, peu de sportifs d’élite réussissent à capter la foule aussi intensément. Lara Gut, blondeur et sourire éclatants dans les bons jours, impose sa loi, seule, face à ses adversaires. Entourée uniquement de sa famille et de proches collaborateurs techniques, celle qui a remporté le Globe de cristal du super-G 2014 et une médaille de bronze aux JO de Sotchi a la réputation d’une forte tête, bien faite, qui ne tolère aucun compromis, ni l’hypocrisie.

Très tôt portée au sommet de la gloire médiatique, à tout juste 18 ans, grâce à ses deux médailles d’argent aux Championnats du monde de Val-d’Isère en 2009, elle a dû ensuite affronter critiques et déceptions lors de ses prises de position face à la fédération puis lors de sa blessure, il y a cinq ans. Ange ou guerrière, Lara Gut possède le tempérament de feu idéal pour enflammer les foules de supporters. Les sponsors aussi en redemandent.

Au sommet de la piste, quelques secondes avant le départ, y a-t-il place dans votre esprit pour d’autres réflexions que la course elle-même? - -

Cela change à chaque fois. La course et le ski font partie intégrante de ma vie, sont d’une normalité évidente pour une sportive comme moi. Lorsque l’on s’entraîne tous les jours, on ne se pose pas de questions avant une course. Je discute, quelquefois, de tout autre chose ou alors j’ai simplement l’adrénaline qui monte en moi, et j’en profite. Le but: essayer de rendre ce moment le plus normal possible.

La peur est-elle présente? Et si oui, est-elle nécessaire ou faut-il la combattre? - -

Non! Il ne faut surtout pas s’élancer lorsque l’on a peur! Evidemment, il faut toujours avoir du respect et ne pas sous-estimer la piste, car nous skions à des vitesses élevées qui avoisinent les 130 km/h. Mais si la peur est là, tout se crispe et vous n’avez plus le contrôle du matériel ni de l’action. Certains peuvent quelquefois confondre la peur avec la tension ou la pression de ne pas décevoir. Mais la peur est une émotion qu’il faut travailler avec son entraîneur.

Expliquez-nous cette notion de respect. - -

Il ne faut simplement pas sous-estimer les choses. Vous pouvez répéter l’action 10 000 fois et ne pas être attentif la fois suivante. C’est un sport à haut risque. Il faut être présent à 100%. Ça ne doit pas être un rapport de force entre moi et la piste. Je ne suis pas plus forte qu’elle, mais elle ne me domine pas non plus.

Que ressentez-vous en descente? Du plaisir, de l’extase? - -

C’est une notion de liberté surtout qui me ravit au moment même où je descends. Chaque fibre de mes muscles est mobilisée, il faut rester concentré et laisser le corps faire ce qu’il est capable de faire. Le plaisir n’est en tout cas pas à l’arrivée, car à ce moment-là tout est déjà fini!

A 22 ans, vous faites partie du club très fermé des skieuses qui ont gagné un Globe de cristal. Qu’est-ce que cela signifie pour vous aujourd’hui et pour demain? - -

C’est effectivement la première fois que je gagne un titre pareil. Avec ce Globe de cristal, j’ai réalisé qu’il était possible de rester concentrée chaque jour à essayer de produire le meilleur de moi-même. J’ai réussi à maintenir un bon niveau tout au long de la saison en ne faisant qu’une chose: simplement penser à skier.

A votre niveau, la lutte pour le centième est quelquefois frustrante. Votre technique? - -

Le virage parfait n’est réalisé qu’une fois, ensuite, le but est de s’en approcher le plus possible, obstinément. Il y a donc toujours de la marge. S’améliorer pour arriver aux 90% d’efficacité est très simple. Ce sont les 10 derniers pour cent qui sont plus compliqués. Je ne crois pas qu’après avoir gagné sept courses en une saison il y ait encore des milliers de choses à changer, il faut simplement s’améliorer. Il faut que je travaille sur les détails.

Quel est votre rapport au temps? - -

Je préfère avoir la sanction du temps plutôt que celle des juges, comme c’est le cas dans d’autres sports. Lorsque c’est une autre personne qui juge votre prestation, il y a forcément une dimension plus politique derrière. Dans mon cas, seul le chrono est juge. Sur une carrière, les bons et les mauvais passages s’égalisent. Les centièmes finissent par être du bon côté. Dans mon cas, je suis arrivée à trois reprises en quatrième position dans des compétitions très importantes, alors si cela devait s’égaliser, j’ai pas mal de bons côtés devant moi! (Rire.)

Comment gérez-vous la pression après la victoire? - -

Un sportif d’élite travaille 365 jours tout seul. Quand il gagne, tout le monde prétend être son ami, lui donne des conseils. Mais ces mêmes personnes ne sont pas là à vous encourager lorsque vous êtes tout seul à vous entraîner. Et lorsque vous perdez, c’est encore pire. Donc ce n’est pas une pression lorsque je gagne, car je le fais pour moi et mon team! Je fais uniquement confiance aux personnes qui sont restées chaque jour à mes côtés et non à celles qui viennent uniquement me serrer la main après une victoire.

Le matériel évolue constamment et peut vous inciter à franchir des limites dangereuses. Quel est votre sentiment? - -

Chaque personne doit connaître son corps. Si, en fin de carrière, les genoux ne tiennent plus, ce n’est pas à cause du matériel. C’est une excuse. Dans mon cas, lorsque je me suis blessée en 2009, j’ai décidé de ne pas participer aux JO de Vancouver de 2010, pour ne pas forcer mon corps.

J’aurais très certainement pu me qualifier, mais je n’étais pas prête à prendre le risque d’avoir des problèmes de hanche plus tard. Il faut avoir la conscience de son corps. Il est clair que lorsque l’on skie à 130 km/h chaque athlète doit trouver la limite. Lorsque je regardais à l’époque la championne Michela Figini descendre sans filet de sécurité, sur une piste pleine de bosses, avec des skis qui allaient tout droit, ce n’était pas moins dangereux.

Aujourd’hui, le skieur arrive à tailler des virages, les pistes sont plus lisses, il y a plus de sécurité. Le sport évolue, il s’est nettement professionnalisé. L’entraînement d’un athlète aujourd’hui n’est pas le même qu’il y a dix ans! Nous passons nos journées à ne faire que ça!

Cet accident était-il positif au regard de votre carrière? - -

Non, un accident n’est jamais positif.

Qu’en avez-vous retiré? - -

Je le saurai à la fin de ma carrière, je n’en sais rien aujourd’hui. J’ai perdu une année, j’ai dû renoncer à me présenter aux JO de Vancouver, j’ai une cicatrice de 30 centimètres dans la cuisse, je ne crois pas que l’on puisse dire que c’était vraiment positif…

Certains sportifs disent avoir découvert la patience avec l’immobilisation forcée… - -

C’est marrant cette idée de patience. La patience n’a rien à voir avec le sport d’élite! Le seul point positif que j’en retire: avoir laissé ma hanche guérir et avoir réussi à gérer l’accident. Mais si j’avais pu skier tout l’hiver, j’aurais aussi appris beaucoup de choses…

Vous êtes connue pour avoir un caractère fort et spontané, deux qualités qui sont idéales pour la discipline du super-G, selon votre père. Expliquez-nous. - -

Dans le sport et dans la vie, il faut savoir faire ce que l’on veut. Lorsque j’étais enfant, une phrase m’avait marquée que mon père me répétait toujours: «Soit tu décides de ta vie, soit ce sont les autres qui vont le faire pour toi.» A 17 ans, lorsque j’ai demandé à Swiss-Ski de constituer mon propre team privé, il y a eu passablement de critiques.

On m’a traitée de gamine gâtée et capricieuse, mais personne n’est venu me demander pourquoi je souhaitais le faire. Pour se battre avec les meilleurs du monde, il faut pouvoir travailler de manière individuelle. Le ski, la vitesse, c’est avant tout de l’instinct. En descente, l’athlète peut essayer la piste, la comprendre, l’étudier. Il y a jusqu’à trois entraînements avant la course.

Dans mon cas, il m’arrive souvent d’être très rapide au premier entraînement. Ensuite, les autres athlètes commencent à trouver les lignes, et le jour de la course nous sommes à égalité… Alors qu’en super-G il n’y a que l’instinct et la vitesse qui priment. Cette année, j’ai réussi à concilier technique et confiance dans mon matériel. Le super-G ne marche que lorsque tout est en phase.

Votre personnalité attire l’enthousiasme du public et des jeunes. Votre sentiment? - -

C’est génial. Mais c’est surtout une histoire de passion. J’adore le ski, j’adore ce que je fais. L’envie est là. J’imagine que cela aide pour transmettre ma passion. Il faut avoir le courage de montrer qui l’on est. Quand je regarde un autre athlète qui réussit à créer un lien et qui ne se contente pas de faire son métier, alors c’est beaucoup plus simple d’avoir de la sympathie pour lui.

Votre caractère fort, un atout pour trouver des sponsors? - -

Ce n’est jamais facile de trouver des sponsors, surtout aujourd’hui en tant de crise. En Suisse, le ski est médiatique. C’est une chance. Avec mon caractère fort, il est peut-être plus clair et simple pour un sponsor, qui y trouve des valeurs communes de vouloir identifier sa marque à mon image.

Il est vrai que je ne suis pas la jeune fille blonde qui sourit constamment et qui trouve que tout est beau. J’aime dire ce que je pense, j’ai mon opinion, j’aime dire la vérité. Lorsque j’ai eu des problèmes avec l’équipe et que d’autres en avaient aussi, personne n’a eu le courage de les exposer. J’ai horreur de l’hypocrisie. Avec un sponsor, c’est pareil.

Il faut qu’il accepte que je reste moi-même. Les campagnes et les spots télé que l’on fait ensemble avec mon sponsor principal Ragusa reflètent cela. Je ne joue pas un rôle, je suis moi. Les sponsors ont aussi beaucoup à gagner si leur produit colle à mon image, car ce que je dirai je le penserai vraiment, donc tout est naturel et le message passe. Je veux être en phase et en paix avec moi-même. J’ai quelquefois arrêté certains contrats car je ne l’étais plus.

La symbiose familiale que vous vivez au travers de votre sport est-elle difficile à supporter toute l’année? Comment vous ressourcez-vous? - -

Les membres de ma famille, mon père entraîneur et mon frère, sont les uniques personnes qui sont prêtes à me donner 100% de leur temps et de leur énergie. J’aime travailler avec eux, j’ai confiance en eux et je suis sûre qu’ils vont rester à mes côtés, tout comme les membres de mon équipe technique. Avec un autre entraîneur, vous pouvez avoir tout gagné, si un autre team offre plus d’argent, il part à la concurrence.

Comment avez-vous vécu les JO de Sotchi, qu’en reste-t-il quatre mois après? - -

C’était particulier. Ce n’est évidemment pas comme la Coupe du monde. J’ai gagné une médaille, maintenant c’est terminé. Ce que je retire de Sotchi, ce sont les détails techniques, le travail sur les skis pour les rendre performants.

Pas d’ambiance particulière entre sportifs? - -

Malheureusement non! Car nous étions perdus au milieu des montagnes! Alors l’esprit olympique, je l’ai vécu uniquement lors de la remise des prix, pour la descente. Il y a nettement plus d’ambiance en Coupe du monde!

Pensez-vous à votre retraite? - -

J’ai tellement de projets aujourd’hui entre le sport et mes études, que je n’arrive pas encore à programmer ma vie dans huit à dix ans. Mais il est certain que je continuerai les études, une fois passée ma maturité cet été. Je me perfectionnerai en langues, vraisemblablement avec un diplôme en anglais et en espagnol. Pour le moment, j’ai mes examens de maths qui m’attendent…